Quel exercice de style auquel se livre Polanski avec Chinatown. De part sa maîtrise formelle et ses références il brosse une lecture moderne du film noir, conservant pour l'occasion le gimmick propre à ce courant cinématographique qu'il associe à une imagerie très fine et un script tortueux. Le résultat prend la forme d'une enquête passionnante qui nous amènera, tout en douceur, jusqu'à un final très noir impossible à oublier.

La force de Chinatown réside en premier lieu dans les personnages qui lui donnent vie. De jack Nicholson qui y trouve très certainement l'un de ses rôles les plus marquants, étonnant de subtilité, à tous les seconds rôles, Faye Dunaway en tête (merveilleuse femme fatale, employée avec brio à contre emploi vu son physique finalement assez froid), chaque personnage est interprété avec une belle précision, laissant deviné une direction d'acteurs implacable.

Personnages marquants pour cette histoire troublante d'un Graal appelé eau convoité par tous. Dans une région on ne peut plus aride, cet élément naturel est en effet semblable à de l'or. Polanski prend un malin plaisir à nous faire croire que les dessous de son histoire ne concernent que cet élément naturel, alors que l'affaire est finalement ailleurs. On se laisse ainsi surprendre dans le derniers tiers du film par une révélation surprenante qui vient tout remettre en question, faisant de l'enquête policière que l'on tentait de résoudre en drame familial quelque peu malsain. La réussite est presque totale, malgré quelques choix narratifs parfois un peu cavaliers, à l'image de la paire d'inspecteurs toujours à côté de la plaque, tantôt virulents, tantôt mielleux, qui ne parviennent pas à trouver leur place dans le jeu auquel se livre le détective Gittes et la famille Cross.

Script solide, acteurs en place, il ne manquait que la maîtrise de Polanski pour que Chinatown devienne ce qu'il est. Un superbe hommage au film noir qui rénove le genre avec respect. Le réalisateur apporte sa modernité, faite d'un scope généreux et d'ambiances graphiques flatteuses. On y sent une belle envie de transposer vers la couleur un univers uniquement fait de noirs et blancs, souvent puissants. Et il fallait toute l'adresse de Polanski pour réussir à compenser les jeux de lumière provoqués par l'absence de couleurs qui caractérise les films noirs. Pour cela, il évite de tourner de nuit (pour garder vive ses couleurs) et préfère composer avec la lumière, pour donner une pleine expression à ses cadres, presque insolents de luminosité.

Très belle séance pour un joli film, graphiquement soigné et écrit avec finesse, Chinatown s'impose comme un superbe ballet d'acteurs : tous parviennent à s'exprimer en affrontant, chacun leur tour, le vorace Nicholson qui irradie continuellement l'écran de sa forte présence.
oso
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le 8 mars 2014

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