Après la révolution d'Octobre, mai 68
Jean Rouch est un ethnologue et Edgar Morin un sociologue. En 1961, dans Chronique d'un été, armés de micros et de caméras, ils vont à la rencontre des parisiens autour d'une thématique "Comment vivent-ils ?" Largement inspiré de l'approche de Dziga Vertov et son "kinopravda", ils développent le concept de cinéma-vérité. Une approche intéressante, à la recherche du vrai, mais qui montre rapidement ses limites.
Le "docufiction" se déroule dans le contexte de la guerre d'Algérie où Charles de Gaulle exerce une forte censure sur la presse. Immédiatement vient le problème de l'autocensure. En effet, lorsqu'on interroge les parisiens dans la rue en leur demandant "Est-ce que vous êtes heureux ?", ils fuient caméras et micros. L'un d'entre eux leur répond : "Et qu'est-ce que ça peut te foutre ?" Ce phénomène peut aussi s'expliquer par la doxa, l'opinion du peuple, qui peut angoisser les gens concernant l'image qu'ils donnent d'eux.
Sincères ou déballant des généralités, hésitants ou confiants, réactionnaires ou analystes, les parisiens ayant accepté d'être interrogées essayent de parler d'eux, de leur vie et surtout, de prendre du recul. Concernant la lutte des classes, nous allons à la rencontre d'un ouvrier mécontent de la monotonie de son quotidien et de ses conditions de travail. Il avoue qu'il lui arrive de se rendre à l'usine avec l'envie de se révolter et puis finalement, une fois devant, il abandonne des désirs de rébellion avec cet argument : "wof j'men fous". Dans la même optique, un autre salarié trouve que le travail est une perte de temps car d'après lui, l'homme subit une situation qui lui est imposée.
Dans un contexte de décolonisation, notamment la crise congolaise, le thème du racisme et des préjugés raciaux est abordé. Par ailleurs, nous rencontrons Jean-Pierre, un étudiant de 20 ans, symbole de la jeunesse, qui se sent impuissant au niveau politique et surtout impuissant pour rendre heureux sa dulcinée. Nous rencontrons aussi d'une femme juive, chiffres sur l'avant-bras, qui parle la déportation qu'elle a vécu durant la seconde guerre mondiale, puis nous nous rendons à Saint Tropez pour se rendre compte de la superficialité des gens; idée de Rouch qui trouvait que son projet prenait des allures trop pesantes.
(Big up à la référence aux vacances de mr hulot quand Marylou ouvre la fenêtre de son toit)
D'après le docu, voilà comment se porte le peuple français en 1961. Un constat en ressort : la diffulté d'être, de trouver sa place dans la société capitaliste et surtout la crise identitaire de ces français dans cet occident individualiste. QUID de l'amorce de mai 68 ?
La notion de vérité est néanmoins remise en cause dans cette captation. En effet, nous remarquons une certaine mise en scène (champ/contre-champ, ballades non-naturelles sur les Champs-Élysées, etc...) et un documentaire sur le film (un été +50) explique que les comédiens (?) faisaient le clap, recommençaient leur dialogue quand la bobine se terminait et réinventait même leur propre personne en jouant leur propre rôle.
La fin du film se déroule au musée de l'Homme. Morin et Rouch se demandent s'ils ont échoué dans leur objectif de retranscrire les rapports humains dans la France de 1961. Morin fait un constat : soit on reproche aux interwievés qu'ils sont trop faux (= comédiens), soit trop vrais (=exhibitionnistes).
Personnellement, je pense que Chronique d'un été est une semi-réussite par rapport au problème de la mise en scène citée plus haut. Peut-être aurait-il fallu planifier le déroulement du projet pour éviter ce souci ? Non car on perdrait la notion de cinéma vérité, de spontanéité et d'authenticité. Néanmoins, le documentaire a le mérite de mettre en place une approche révolutionnaire, nous éclairer sur l'état de la France avant mai 68 et surtout de se remettre en cause lui-même dans la question du ciné-vérité/mensonge.