De même qu'un simple mot ne peut résumer la vie d'un homme, comment un simple film pourrait-il y prétendre ? S'il se livrait à cet exercice aussi ardu que simplificateur, il retomberait vite dans les travers que Wells dénonce dans le surprenant documentaire d'introduction, News on the March : une chronique à sensations, qui réduit le personnage de Charles Foster Kane à son destin mythique. Or Citizen Kane se présente comme une enquête, déclenchée par l'énigmatique mot "Rosebud". Cette parole sert de prétexte à différents personnages, en apparence proches de Kane, pour livrer un épisode particulier de sa vie.

L'une des prouesses scénaristiques du film est cette construction en flash-backs, pièces de puzzle que le spectateur doit rassembler pour construire son intrigue. Ces divers aperçus de la vie de Kane se complètent et s'enrichissent mutuellement, tout en suivant une suite logique. Le rédacteur Berstein évoque la vie publique de Kane, ses débuts à l'Inquirer et sa carrière politique. Leland et Susan Alexander des éléments de sa vie privée et de sa personnalité. Toutefois, le film nous donne des éléments qui nous permettent de mettre ces récits en doute : l'obsession de Leland vieillissant pour les cigares, une première marque de sénilité; le ressentiment et la rancoeur qu'éprouvent certains personnages vis-à-vis de Kane par rapport à des épisodes tumultueux de passé.

Au final, ce que l'on apprend de Kane reste cantonné au domaine du non-dit, de l'implicite, voire dans les objets eux-mêmes. Le palais de Xanadu, miroir aux alouettes constitué d'un amas d'objets hétéroclites est-il le dernier ouvrage d'un mégalomane, ou l'exutoire d'un homme spoilé de son passé ? Charles "Foster" Kane, arraché à sa famille par son énorme fortune, attache de l'importance à des babioles désuètes, une boule à neige, une vieille luge.

C'est cette richesse de sens et d'interprétation, outre les techniques cinématographiques novatrices, qui font à mon sens de Citizen Kane un très grand film.
Neve
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le 9 juin 2014

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