Après The Missing Gun et le magnifique Kekexili, Lu Chuan décide de s'attaquer à un sujet tabou en Chine: le massacre de Nankin (qui a causé la mort de 300 000 personnes selon les chiffres et les documents chinois et 200 000 selon le Japon). Sujet qui, encore aujourd'hui, attise la haine d'une majorité de Chinois envers leurs voisins, dont certains continuent de nier cette tuerie et de rendre hommage à leurs criminels de guerre. La première idée de Lu Chuan était de faire un film type hollywoodien avec un héros chinois en premier plan et tout le tsouin-tsouin qui va avec (sauveur, rescapés, les larmes, etc...), mais cela ne correspondait pas à ce qu'il souhaitait réellement montrer. Il voulait avant tout coller le plus possible aux faits historiques et essayer d'enlever cette image de "monstre" qui collent à la peau des Japonais (ou du moins des soldats car à l'époque une grande majorité du peuple Japonais ignoraient tout de ce qui se passait réellement en Chine). C'est donc principalement à travers le regard d'un jeune soldat japonais, Kadokawa, qu'on assiste à cette invasion insensée et les tueries qui suivent. Arrivé motivé, comme la plupart des troupes, Kadokawa perdu et impuissant va vite se rendre compte de l'absurdité des événements qui semblent le dépasser complètement: des soldats et tout homme soupçonné d'être militaire sont fusillés, pendus, décapités, brûlés vifs... On ne garde aucun prisonnier, certains enfants sont tués et les femmes violées. Cela va aussi permettre au réalisateur de filmer le camp Japonais et leurs activités, leurs bavardages, les liens qui les unissent. Kadokawa va d'ailleurs connaitre son premier amour aux côtés d'une fille de joie Japonaise envoyée pour distraire les troupes. Cette volonté de Lu Chuan d'aller à contre courant par rapport aux pensées de son pays va d'ailleurs lui valoir des menaces de certains citoyens et une vive critique des Nationalistes chinois. Mais le point de vue du réalisateur reste néanmoins très clair: il y a bel et bien eu un massacre! Les gens sont traités comme du bétail malgré le courage de quelques étrangers qui s'opposent aux militaires Japonais et essaient d'instaurer tant bien que mal une zone de sécurité, enfreinte à maintes reprises. A l'image de John Rabe, cadre allemand et fervent partisan nazi qui va utiliser l'alliance Allemande/Japonaise pour gérer les soldats nippons et protéger au mieux les réfugiés chinois ou de Minnie Vautrin gérante américaine d'un pensionnat pour filles.


Les Chinois lui reprochent donc d'être trop complaisants envers l'adversaire et curieusement de l'autre côté, en occident, on n'hésite pas à taxer le film de "propagande chinoise". Pour ma part j'ai vu un film d'une beauté froide, cruel, très dur, parfois à la limite de l'insoutenable, mais extrêmement touchant et souvent très juste dans les propos et la réaction des personnages, parfois même dans la non réaction des autres face aux actes odieux que subissent les civiles chinois (qui rappellent beaucoup Outrages de De Palma). La dure réalité d'une guerre, si on peut encore appeler ça une guerre... autant dire une boucherie. L'invasion, ayant été ordonnée avant l'accord des dirigeants Japonais, échappa malheureusement à toutes les conventions. Film à absolument voir même pour ceux qui connaissent l'histoire de Nankin. Prévoir des mouchoirs pour les plus sensibles.


A noter que le film est suivi d'un documentaire très intéressant (présent dans les bonus du DVD/Blu Ray) qui montre qu'en plus des révisionnistes et nationalistes Japonais qui s'opposent farouchement à la reconnaissante du massacre de Nankin (allant même jusqu'à porter plainte contre les survivants, c'est juste honteux...), il y a aussi quelques personnalités nippones importantes qui œuvrent pour rentrer définitivement ces faits dans les livres scolaires nippons et qui travaillent très dur pour recueillir les déclarations (parfois très écœurantes) des soldats Japonais présents à ce moment là. L'un d'eux étant mort peu après avoir vidé son sac, sa belle fille ne l'avait jamais vu aussi apaisé, comme s'il était déchargé d'un poids qu'il portait sur ses épaules depuis plus de 60 ans.

-Jun
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le 6 sept. 2016

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-Jun-

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