Cléo de 5 à 7 est une balade cinématographique de près de deux heures aux côtés de Florence, alias Cléo jeune chanteuse de Paris qui attend ses résultats médicaux. Le diagnostic médical plane sur ses déambulations dans les rues de Paris comme une épée de Damoclès, alors que sa visite chez une chiromancienne lui a assuré un mauvais présage. Une scène d'ouverture en couleurs le temps de tirer les cartes, la seule du film, qui se décline en un noir et blanc tout à la fois réaliste et émancipateur.
Agnès Varda signe un film qui se caractérise par une générosité sans égale: celle qui nous fait les compagnons de route de Cléo dans une balade tout à la fois remplie de légèreté et de gravité, depuis les emplettes rue de Rivoli jusqu'à la visite du médecin de la Salpêtrière. Entre ces deux moments se glissent de nombreux chapitres: des balades en taxi, en voiture et en autobus, des passages au café le Dôme, des rencontres avec des femmes et des hommes.
La générosité de Varda se manifeste aussi dans des moments de partage musicaux et cinématographiques, avec la participation joviale de Michel Legrand, qui couronne le film de son génie, mais aussi d'Anna Karina et Jean-Luc Godard, grimés en acteurs du cinéma muet, et bien d'autres. Cette complicité entre les artistes de la Nouvelle Vague inspire et transpire la joie de vivre, de créer, de rêver. Ainsi, la balade enivrante prend aussi les airs d'une échappatoire artistique à la pesanteur existentielle - sous les formes d'un court-métrage, d'une répétition de musique ou d'une séance de sculpture.
La caméra de Varda sculpte les corps et montre un Paris féminin. Cette caméra féministe s'attarde sur les regards insistants des hommes sur Cléo. Elle décline la dépendance de Cléo vis-à-vis de son amant, qui ne se soucie que peu de sa santé et de son parolier, à l'inverse de qui elle ne maîtrise pas le solfège. La caméra de Varda est aussi transformative : elle sait saisir le moment où Cléo met une robe noire et enlève sa perruque.
Fil rouge du film, à la fois empreint de gravité et d'humour, la superstition se manifeste en touche plus ou moins discrète tout au long du film. Quand la superstition se transforme en un fatalisme libérateur, cela donne la rencontre finale de Cléo avec un militaire revenu d'Algérie le temps d'une permanence, autrement dit la rencontre finale entre deux destins, deux personnages que la mort guette.
Cléo de 5 à 7, monument de la Nouvelle Vague, est surtout un cadeau que dévoile la caméra tout entière pétrie de l'empathie et de la générosité de sa réalisatrice, Agnès Varda.