Après avoir visionné son adaptation du "Jules César" de Shakespeare toute en sobriété, j'ai voulu voir comment Mankiewicz se débrouillait à la tête d'une superproduction titanesque qu'il a finalement lui même renié, un peu à manière de Lynch avec son "Dune".
Pour clarifier un peu ma position vis-à-vis des péplums blockbusters : Je ne suis pas historien, donc je pardonne volontiers les libertés scénaristiques concernant les événements et personnages. Bien conscient que tout film Hollywoodien doit avoir son "grand méchant", je tolère aisément le Octave grimaçant et sadique. Le kitsch et l'anachronisme vestimentaire me font sourire et j'y trouve même une certaine satisfaction (cette garde robe de Cléopâtre et ces intérieurs de palais sixties...).
En somme, je suis plutôt bon public, même si, comme sans doute beaucoup de spectateurs, je reste éprouvé par 4 heures de visionnage.


Pour commencer par des généralités : c'est super impressionnant. Dire que je trouvais "La Planète des Singes" bluffant pour 1968, que dire des moyens dont dispose cette oeuvre de 1963. Les décors sont immenses, les détails foisonnants, les figurants fourmillent... Bref, on en prend plein les yeux.
Je ne reviendrai pas sur la gestation catastrophique du projet, la ruine que le film fut pour son studio de production, beaucoup le racontent très bien.
Une de mes premières réflexions fut "heureusement que c'est Mankiewicz aux commandes". Son amour des dialogues ciselés, sa gestion habile du tragicomique, son second degré jamais simpliste donnent un vrai cachet à un scénario qui, confié à un tâcheron lambda, aurait pu être indigeste au bout de 15 minutes.
Les deux premières heures du film sont, à cet égard, tout bonnement excellentes. L'alchimie entre Rex Harrison (plaisant Jules César guoguenard et faillible) et Elizabeth Taylor (magnifique et charismatique Cléopâtre) fonctionne surprenamment bien. Comme dans ses autres films, Mankiewicz prend son temps, déroule une fresque intime, s'attarde sur les faiblesses de chacun de ses personnages. Qu'importe l'indigestion de couleurs, de décors et de robes tant que tout ce manège sonne "vrai". Le spectateur se laisse emporter au gré de la fluidité de sa caméra espiègle.
Certes, les enjeux sont simplifiés, naïvement exprimés, mais on a signé pour le spectacle, pas pour le traité de géopolitique.
Il est d'ailleurs assez amusant de comparer cette version du complot des sénateurs romains à l'encontre de César avec celle plus psychologique et intimiste de "Jules César". On assiste là aussi au "basculement" de Brutus, aux présages, jusqu'à l'instant fatidique, ici entrevu dans les flammes d'une oracle par Cléopâtre. Et on ne peut que regretter que Marlon Brando n'ait pas encore une fois enfilé la jupette de Marc-Antoine plutôt que Richard Burton.
Car l'alchimie entre Cléopâtre et son nouvel amant est bien plus artificielle, la naissance de leur relation bâclée, et on imagine aisément les coupes de studio en coulisses. Le Marc-Antoine de Burton se veut fragile, complexé, faible. Mais cela se traduit à l'écran par des monologues d'auto-apitoiement assez pénibles, de l'alcoolisme, des disputes et des rabibochages forcés...
L'ennui s'installe et nous gagne progressivement. Cléopâtre, si incisive dans la première moitié du film, donne dans le mélodrame forcé. A ce moment, oui, la débauche d'effets et la lourdeur du projet pèsent. Les enjeux géopolitiques se mêlent maladroitement aux enjeux intimes et Mankiewicz vacille, sans doute lui aussi fatigué par toute cette entreprise.


L'erreur du film été de vouloir raconter la totalité de la légende de Cléopâtre, là où la première partie bien ficelée avec César se suffisait largement à elle-même. "Cléopâtre" a les yeux plus gros que le ventre mais déploie tout de même de nombreuses qualités rares dans le monde du blockbuster hollywoodien.

Mr_Step
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le 27 avr. 2020

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Mr_Step

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