Il est surprenant, à première vue, de découvrir Joseph L. Mankiewicz aux commandes de cette super-production au budget pharaonique (44 millions de dollars, énorme pour l'époque alors qu'aujourd'hui on ne pourrait pas faire un tel film sans au minimum doubler le budget) qui faillit bien couler la Fox. Plus réputé pour sa verve intelligente que pour son savoir-faire dans la matière de reconstitution coûteuse impliquant des centaines de figurants, Mankiewicz arriva sur le projet alors qu'il était déjà lancé avec la mission de maintenir la barge à flot. Il en résulte une fresque épique de plus de 4 heures, centrée sur la relation houleuse qui unit Cléopâtre à Rome durant l'Antiquité, symbolisé par ses relations intimes avec César et Marc-Antoine. Le film est d'ailleurs divisé en deux parties bien distinctes, la première nous montrant un César vieillissant et quasiment dépourvu de scrupules retrouvant l'ambition dans les bras de Cléopâtre tandis que la seconde verra Marc-Antoine et la voluptueuse reine d’Égypte succomber à la passion.


D'emblée, malgré malgré la beauté des décors grandioses, des couleurs vives et la qualité des moyens mis en œuvre pour la reconstitution, ce qui frappe c'est combien "Cléopâtre" est une épopée intimiste. Ici peu de place pour le spectaculaire en dehors des décors démesurés. La bataille navale arrivant aux trois quarts du film et faite pour être un morceau de bravoure semble bien plate, guère alimentée par un Mankiewicz visiblement peu concerné par cette scène. Non, ce qui intéresse le cinéaste ici, ce sont les personnages. Leurs relations houleuses et passionnées, leur rapport au pouvoir et au temps qui passe. "Cléopâtre" est un film incroyablement bavard, marque de fabrique d'un réalisateur plus prompt à mettre en scène de vifs échanges de paroles plutôt qu'un champ de bataille. A ce niveau-là, le film est une vraie réussite. Car on y parle beaucoup mais on y parle avec bien, avec malice, ferveur, hargne, passion et sous-entendus. Mankiewicz tisse un portrait complexe de la Rome de cette époque, en plein tourment à cause de celui causé par une femme sur deux de ses plus grands citoyens. C'est une œuvre mélangeant aussi bien la politique que la passion, à l'image de son héroïne.


Une héroïne immortalisée par Elizabeth Taylor, belle à tomber. Vêtue de robes mettant largement en valeur son corps de déesse, l'actrice met tout le monde d'accord et inscrit sa prestation dans l'histoire du cinéma. Elle y est superbe, à la fois fragile et extrêmement déterminée. Le couple qu'elle forme avec Richard Burton, mythique aussi bien à la ville qu'à l'écran, ne manque pas d'embraser la pellicule. Il faut dire que le couple s'est formé sur le tournage alors qu'ils étaient chacun mariés de leur côté et on sent bien que Burton est inspiré quand il déclame ses mots d'amour à Cléopâtre. Face à eux, Rex Harrison apparaît un peu plus fade en César, malgré une composition intéressante en conquérant gagné par le temps. Sous la houlette de Mankiewicz, ''Cléopâtre'' prend des allures shakespeariennes alors que les passions et les ambitions se déchaînent. Si l'ensemble a bien quelques longueurs, il faut lui reconnaître toute sa splendeur, transcendée par une actrice au sommet et servie par de brillants dialogues.

Créée

le 4 mai 2016

Critique lue 446 fois

6 j'aime

2 commentaires

Critique lue 446 fois

6
2

D'autres avis sur Cléopâtre

Cléopâtre
Sergent_Pepper
8

Cléo de Sphinx à diète

Pour entreprendre l’ascension du monument Cléopâtre, tous les sens doivent être en éveil. Bien sûr, on contemplera avec une attention particulière la grandiloquence d’un film qui fut un gouffre...

le 10 oct. 2014

49 j'aime

4

Cléopâtre
Torpenn
8

Y'a que Burton dans l'aigri fait du mandat rien.

J'avoue un peu honteusement avoir toujours eu de ce film un souvenir un peu mitigé, quelque chose qui ne fonctionnerait pas tout à fait, un duo d'acteurs trop limites pour porter un si gros film et...

le 6 nov. 2011

45 j'aime

38

Cléopâtre
Anonymus
9

Critique de Cléopâtre par Anonymus

J'ai regardé "Cléopâtre" comme on visite un monument historique : en faisant des pauses, des retours en arrière et en ayant la formidable impression d'être le premier à le découvrir. L'avantage des...

le 23 juil. 2011

31 j'aime

3

Du même critique

Nos souvenirs
Alexandre_Coudray
6

All is Lost

Chaque festival de Cannes a son mouton noir. En 2015, ce fut ''The Sea of Trees'' (renommé ''Nos Souvenirs'' depuis pour une sortie française). Le tollé (avec huées durant la projection et mauvaises...

le 4 avr. 2016

27 j'aime

9

The Lost City of Z
Alexandre_Coudray
8

Cet enfer vert qui fait rêver

Cinéaste plutôt habitué au genre urbain, James Gray s'est lancé dans une folle aventure avec "The Lost City of Z". Une folle aventure qu'il rêve de faire depuis déjà plusieurs années alors que Brad...

le 7 mars 2017

24 j'aime

15

Géant
Alexandre_Coudray
8

L'Amérique en mutation

Dans la lignée des grandes sagas américaines produites par Hollywood, "Géant" n'a aucun mal à s'imposer. Surtout connue pour être la dernière apparition de James Dean sur grand écran (il mourut peu...

le 4 sept. 2016

16 j'aime