Nope. Nope, nope, nope, nope, nope.


L’auteur de ces lignes n’a rien contre Gaspar Noé, dont il a soigneusement évité le polémique Love, tant ce dernier avait tous les airs d’une coquille vide (à tort ou à raison), mais dont il a encore en mémoire les effets bœufs qu’ont eu sur lui Irréversible et Seul contre tous. Il est loin d’être un fan inconditionnel, mais quand un ami extatique lui a parlé de cette « expérience cinématographique sidérante », il s’est dit : « pourquoi pas ? ». À tort. Climax est une aberration. Pluridisciplinaire, polymorphique, peut-être même métempsychique, allez identifier les rouages de l'univers. Une heure trente-cinq qui parait au bas mot trois heures dix, composée :
- d'un prologue emballé comme un court-métrage (avec le générique de fin en accéléré, et tout), dont le contenu déconcerte un peu, mais dont la raison d'être s'avérera, à la fin du film, inexistante, morceau de poudre enneigée aux yeux ;
- d'un quart d'heure (ok, c'est très approximatif) en mode docu relativement intriguant, dont on peut apprécier l'aspect cinéma-vérité des témoignages individuels des danseurs, dont la moitié crèveront sans doute du SIDA ou d'overdose avant leurs trente-trois ans, mais qui s'avérera lui aussi totalement vain, même en tant que témoignage d'un univers méconnu ;
- d'un premier numéro de danse collective appartenant au genre du voguing, style de danse urbaine né dans le milieu gay et noir du New-York des seventies (paie ton intersectionnalité avant l'heure !), qui impressionne au début, avec son maelström parfaitement articulé de corps désarticulés (pas besoin d'apprécier le style pour apprécier la chorégraphie), sous le gros son d'un DJ qui ravira les nostalgiques de la musique électro des années 90... avant de traîner en longueur, préfigurant le reste du film, sans pour autant mettre le spectateur naïf sur la défensive ;
- d'une bonne demi-heure, elle parfaitement imbitable, de dialogues nullissimes entre membres de la troupe, chaque fois deux par deux, chaque fois portés sur des sujets fascinants comme la sodomie à sec, et dont les personnages ne ressortent pas moins inintéressants, alors que l'objet de cette partie était normalement de nous les rendre un minimum proches en vue du drame à venir (on apprend que les dialogues sont improvisés, Noé ayant lâché la bride à ses acteurs pour obtenir des moments de vérité... mission réussie : la vérité de la médiocrité) ; dialogues par ailleurs entrecoupés d'une nouvelle phase de danses, succession chiante à mourir et bricolée n'importe comment de petits freestyles persos laissant penser que le film est plus une démo de la chorégraphe Nina McNeely qu'autre chose... ;
- et, pour finir, d'une autre bonne demi-heure (again, approximatif) où se déchaînent ENFIN les enfers, ravivant l'intérêt des spectateurs jusqu'ici plongés dans une léthargie baveuse, et qui se retrouvent soudain à ESPÉRER que quelque chose se passe enfin, qu'un ou deux minuscules pics n'apparaissent sur l'électroencéphalogramme, Noé étant, après tout, connu pour savoir SAISIR le CHAOS sur pellicule... sauf que Climax les reperd très vite, et cette fois-ci définitivement, dans un bordel aussi abrutissant qu'assourdissant.


Le film a ses défenseurs. C’est d’autant moins difficile avec un cinéaste culte et un poil taré comme Noé. Plus le film est hardcore et haï par la majorité (les « moutons »), plus ses défenseurs seront radicaux et zélés. C'est mathématique. C'est logique. Mais qu'on essaie de défendre les scènes de dialogues, et les performances de la moitié du casting (à commencer par celle de l'actrice qui joue la mère, à se faire hara-kiri). Qu'on essaie, juste. Non. Non, on ne peut pas. Tout ce que Climax a qui JUSTIFIE que l’on dépense la moindre énergie à le défendre bec et ongles, c'est son climax. Son chaos. Là où la science supérieure du plan-séquence de Noé est censée trouver sa raison d'être et retourner les cerveaux, bien aidée par un travail de son inévitablement super-chiadé (on a encore en tête Enter the Void, film un peu casse-gueule mais non dénué de très grands moments). Le chaos, mais oui, ouvrez les yeux, voyons. Eh bien, on ouvre les yeux, et oui : le chaos, dans Climax, a de la gueule. C’est un mix de zombie apocalypse, d’Irréversible, de Sexy Dance, et du deuxième épisode spécial Halloween de Community (en moins drôle) filmé par un psychopathe maniaco-dépressif qui sait filmer. D'où la suggestion que Climax est un grand film sur, euh, le chaos. Mais non. Parce que son chaos est un chaos sans sens, du moins dénué d'un sens qui mènerait quelque part, or, le chaos filmé ne pouvant avoir les attributs du VRAI chaos puisqu’il est simulé, la réussite de ses effets dépend de ce qui a précédé, du NON-chaos (c’est clair ?), et comme tout ce qui précède le dernier acte de Climax est complètement pourri, eh bien… on s'en contrefout. La forme n'est le véhicule de rien qui ne vaut le déplacement. Lire la case « résumé » de la fiche Allociné du film suffisait à susciter une première, profonde interrogation : elle était où, l'histoire, déjà ? Nulle part. C'est Climax qui aurait dû s'appeler Enter the VOID ! Vous l’avez compris, il n’y a rien à garder sur le plan scénaristique, dramaturgique. Les personnages peuvent tous crever dans d’atroces souffrances que ça ne nous tirerait pas même le plus ténu chouinement, et le plus impardonnable, dans cette histoire, et que MÊME la mimi Sofia, pas une grande actrice mais toujours une sacrée vision, ne parvient à rendre divertissante l'expérience. Chacune de ses apparitions rend les deux premiers actes supportables, mais la malheureuse finit engloutie, comme tout le reste, dans le capharnaüm hystérique final.


Quitte à faire dans les films qui clivent, Mother!, de Darren Aronofsky, propose une vision du chaos autrement plus stimulante et inventive. Et adulte. Le climax de Climax, c'est l'éjaculation précoce d'un collégien autiste sur sa (plus ou moins) lointaine cousine aux gros seins. On ne plaisante pas, le fond est de ce niveau ; en attestent les trois panneaux qui accompagnent le début et la fin du film, et donnent quelque chose du calibre de « naître est une chance » et « mourir est une expérience unique » (tan-tan-taaaan), comme si le Gaspar essayait désespérément de trouver son nouveau « Le temps détruit tout » et échouait comme une merde. Ci-contre, un extrait de l'explication qu'à donné le vertigineux philosophe à la gestation spirituelle de son film : « Les joies du présent, lorsqu’elles sont intenses, nous permettent d’oublier cette immense vacuité. Les extases, qu’elles soient constructives ou destructives, en sont des antidotes. L’amour, la guerre, l’art, le sport, la danse nous semblent des justifications à notre bref passage sur terre »... CQFD ? Ah, oui, et c'est quoi, le putain de rapport avec la France ? Qu'apporte donc au schmilblick cette petite excentricité d'en faire un film « fier d'être français » ? A fortiori un film qui s'est choisi un terme anglais comme titre, et comme cadre un milieu culturel on ne peut plus bâtard ?


La leçon à retenir de Climax, s'il doit y en avoir une, ce qui n'est pas du tout obligé, est que le plus impressionnant plan-séquence du monde ne peut transformer l'eau en vin, ou de façon plus appropriée, la merde en or massif. Noé est toujours un faiseur d'images sans pareille, sa technique n'a rien perdu de sa virtuosité, et son goût pour l'horreur est resté très clairement intact, mais dans Climax, rien qu’il ne conte ne mérite d’être conté, et très peu de ce qu’il filme ne mérite d’être filmé. En d’autres termes : une occasion atrocement manquée. Autrement dit : non, Gaspar. Nope. Nope. Nope, nope, nope. Nope, nope, nope, nope, nope, nope. Nope, nope, nope, nope, nope, nope, nope, nope, nope, nope, nope, nope, nope, nope, nope, nope, nope, nope, nope, nope, nope, nope, nope, nope, nope, nope, nope, nope, nope, nope, nope, nope, nope, nope, nope, nope, nope, nope, nope, nope, nope, nope, nope, nope, nope, nope, nope, nope, nope, nope, nope, nope, nope, nope, nope, nope, nope, nope, nope, nope, nope, nope, nope, nope, nope, nope, nope, nope.


Merci.

ScaarAlexander
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le 27 sept. 2018

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Scaar_Alexander

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