Comme une âme perdue au sein du chaos

Un plan en plongée totale, un cadre blanc, de la neige, une femme qui rampe, son corps se tord, elle hurle, du rouge dans ce cadre si blanc. Un générique, puis un casting, des références, d'Argento à Cocteau, des individus, chacun très différents, très humains, certains répugnants, d'autres attachants. De la danse, une unité, un plan séquence incroyable, une chorégraphie magnifique. Une unité brisée, un cadre déjà malsain, des relations très humaines, une unité de façade... Puis un générique, encore, un générique de fin cette fois. Le film reprend, un plan séquence, une atmosphère de plus en plus oppressante, une musique toujours si présente, une caméra qui se désaxe progressivement, de l'urine : Bienvenue en enfer.


« Vivre ensemble est une impossibilité collective ». Si les premières minutes du film sont déjà équivoques à ce sujet, ce propos ne cessera d'être confirmé, accentué, parfois jusqu'au grand-guignolesque, mais toujours dans la cohérence. A partir de quand le plaisir devient une expérience désagréable, voir atroce ? Il ne faudra qu'un peu de Sangria et de LSD à Noé pour poser cette question, sous-jacente dans l’entièreté de sa filmographie, omniprésente dans Climax.
Climax ne nous parle pas d'une France qui souffre, de la mort, ou encore de l'amour. Climax n'est pas de ces films, non, Climax c'est l'histoire d'une troupe de danseurs qui vont connaître un bad trip. Si le fond est bien présent, tant sur la question du vivre ensemble qu'à travers un regard très pessimiste sur la place du multiculturalisme en France, c'est véritablement par la forme que le film va briller.
Noé n'est ni conteur ni homme politique ni philosophe, Noé est cinéaste. Un de ces cinéastes brillants souvent jugés prétentieux qui joue avec maestria avec les codes d'un art qu'il ne connaît que trop bien. Si l'on peut retrouver dans Irréversible ou encore Enter The Void une dimension expérimentale conférant à ces films cette dimension de laboratoire stylistique, Climax se montre parfaitement maîtrisé de bout en bout. La caméra voyage entre les différents personnages, véritable protagoniste de l'intrigue, nous plaçant en position de voyeur, mais aussi d'âme perdue au sein du chaos. L'atmosphère est étouffante, le huit-clos insoutenable, les personnages sont enfermés dans ce décor macabre alors que le spectateur ne peut quitter le film des yeux.
Parlons-en du décor justement ! Une grande salle principale, puis des couloirs, et encore des couloirs... Des couloirs tout simplement interminables, qui s'étendent encore et toujours à travers des ambiances visuelles toujours plus marquées. On suffoque avec les protagonistes, on se perd avec eux, et on ne désire plus qu'une chose : en voir le bout.
Des personnages profondément humains, dans toute leur stupidité et leur méchanceté primaire : potentiels violeurs, lyncheurs... Les sentiments sont exacerbés, les êtres ramenés à leur animalité la plus précaire, et l'on passe d'une émotion à une autre l'espace d'une rotation de caméra. La danse passe du sublime à l'animal, les rires de la légèreté à l'abominable. Seul point de repère dans cet enfer, Selva, le personnage interprété par Sofia Boutella, ici magistrale. Pourtant, bien qu’écœuré, le spectateur se complaît dans cet excès de débauche et de violence, dans ce nirvana esthétique qu'est la créature filmique de Noé, spectateur voyeur partagé entre l'immersion oppressante et le plaisir sadique.


Climax dépeint une soirée qui tourne mal, une descente en enfer parfaitement menée et maîtrisée, tant par la mise en scène que par les très bons comédiens, pour la majorité amateurs. Tantôt saisissant de réalisme, tantôt grand-guignolesque, Climax nous offre les clés d'un exutoire dont on ne tirera que dégoût, et un besoin insoutenable de quitter la salle, suivi de près par la volonté de s'infliger ça à nouveau. La bande-son magistrale nous accompagne dans ce cauchemar, jusqu'aux dernières notes d'un Angie, salvateur par sa douceur presque macabre, et d'une porte ouverte bien trop tard...
Pourquoi s'infliger ça ? L'art n'a pas toujours pour but d'être plaisant ou divertissant, dès lors qu'il suscite une réaction, qu'il ne laisse pas indifférent. Mais pourquoi consciemment s'infliger un traitement si éprouvant ? Climax, et plus largement la filmographie de Noé, se place au centre de ces interrogations, de ce paradoxe. Peut-on vraiment aimer Gaspar Noé ? Peut-on apprécier Climax ? Moi, j'ai détesté Climax, et c'était génial.

Fayrop
9
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le 14 oct. 2018

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