Sans sa mise en scène particulière entre fiction et documentaire, mensonges et vérités, rêves et réalité, le thème en lui-même n'a rien d'extraordinaire, si ce n'est sa construction à bousculer les repères et son hommage au cinéma, à son langage et à sa propre réalité, pour nous en révéler celle des hommes, d'un pays et de sa situation économique.
Hossein, se fait passer pour un cinéaste connu auprès d'une famille bourgeoise et profite un temps de la générosité de ses hôtes tout en leur faisant croire à un prochain film qu'il tournera chez eux avant d'être démasqué et jugé.
Le thème sociétal reste en filigrane mais une scène de langage subtil, lors d'un échange avec un des fils de la famille dénonce la censure d'une société rigoriste, où on ne parle pas de choses qui fâchent. Le fils s'égare sur la question du chômage, pour être rapidement recadré par sa mère. Cet interlude qui peut faire sourire pose le contexte du pays et ses conséquences et soulignera par la suite le fossé entre bourgeoisie et laissés pour compte.


Kiarostami a décidé à la lecture d'un article sur le futur procès de cet homme, d'arrêter un tournage en cours, et d'en faire son prochain film, Close Up.
Il rencontre Hossein en prison avec une caméra cachée, découvre l'homme et demande ensuite l'autorisation de filmer le procès pour mettre en œuvre son projet et révéler au moment même des faits, cette histoire étonnante, pourtant bien simple et légitime, celle d'un homme en quête de dignité qui se sera laissé prendre à son propre jeu. Il reconstitue toutes les étapes de ce qui a été perçu comme une tentative de cambriolage, pointe les doubles responsabilités et ce besoin de reconnaissance avec en effet miroir, celle de la famille amatrice de cinéma et de son propre désir, prompte à se laisser berner par leur incroyable invité, tout en rejetant rapidement celui qui les aura fait rêver, une fois l'imposture révélée.
Kiarostami choisi ses acteurs, ceux-là même qui ont été impliqués dans l'affaire. Pour l'un, son fantasme d'une vie meilleure et pour les autres, leur expérience à avoir été floués, devront rejouer leur propre histoire.


Un premier moment fort, avec cette scène de l'arrestation vue par Hossein, d'autant plus marquante que cet homme rejoue une expérience réelle et traumatisante. Cette scène prend toute son ampleur dans la gestion de l'espace à l'intérieur de la maison qui se vide tout à coup, et par les expressions de Hossein déambulant à travers le salon, prenant pleine conscience de la fin de l'aventure. Comme absent, il attendra son arrestation mais tentera de jouer son rôle jusqu'au bout, chaussettes trouées. Les regards par la fenêtre sur le jardin et le portail qui s'ouvre laissant entrer les policiers, renvoient à la première scène du film où cette même situation était vue d'un autre angle, lors de l'arrivée du journaliste sur les lieux. Tout au long du film, Kiarostami joue des points de vues différents, des temporalités, croise le procès (docu) et la reconstitution (fiction) où l'on ne sait pas toujours où commence l'un et où finit l'autre, manie avec excellence le vrai et le faux, et par une construction à tiroirs, n'hésite pas à nous perdre par des allers retours entre présent passé et futur et monopolise tout autant notre réflexion que notre plaisir du cinéma et du thriller.


Nous ne savons pas ce qui se trame réellement, qui est cet homme et quelle est sa volonté. Est-il malade, est-il un menteur ou est-il simplement un homme en quête d'existence. Pour se sortir de sa misère, Hossein avait besoin de se rêver réalisateur. Chômeur, amateur d'art, de lecture et de cinéma, il choisit de prendre le rôle de Moshen Makhmalbaf, l'appréciant particulièrement pour ses films qui rendent compte de la souffrance des hommes.
Cette souffrance mise en exergue lors du procès est le second moment fort. Ses dialogues marquent l'humanisme de Kiarostami et révèlent la culture de l'homme. On discute de ce qui s'est passé, du pourquoi et du comment, de ce que l'on est, de ce que l'on aurait pu faire et de ce que l'on fera, tout ceci sous la bienveillance et l'air bonhomme du juge, et où les échanges spontanés et par effet rebond, permettront à Hossein, par ses confessions, de nous dévoiler un être sensible, tout autant que la difficulté à rendre la justice.


La scène finale boucle la boucle et filme de nouveau en caméra cachée. Nous verrons alors avec émotion la joie pour Hossein à sortir de prison et à voir enfin son réalisateur préféré, qui au courant de cette affaire, décide de rencontrer son double. Un dernier voyage à la rencontre de la famille où il viendra leur présenter Makhmalbaf le vrai. On peut alors être surpris de la dernière phrase, de l'hôte pour Hossein, mais s'adressant au réalisateur, sans un regard pour cet homme : j'espère qu'il nous donnera l'occasion maintenant d'être fier de lui. Comme un autre moment d'absence. Alors cinéma ou triste réalité ?


Hossein qui n'aura pas pu être un réalisateur, aura en tout cas été sauvé par le cinéma. Car on peut imaginer que sans l'intervention de Kiarostami, la sentence aurait pu être différente.

limma
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le 3 mars 2019

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