Ce film est une libre adaptation d’un roman de Bruce Chatwin Le vice-roi de Ouidah où le personnage de Cobra Verde est inspiré du personnage (réel) de Francisco Felix de Souza, né à Bahia au Brésil, et ayant fait fortune au Dahomey comme négrier. Dans le film, Francesco Manoel da Silva (Klaus Kinski) est un éleveur du Nordeste brésilien ayant tout perdu à cause d’une terrible sécheresse (on voit une vache sur le flanc, incapable de bouger, alors qu’autour d’elle, le sol est jonché d’ossements). Devenu bandit errant (il observe des esclaves noirs se faire fouetter sauvagement) sous le nom de Cobra Verde, il est engagé comme intendant d’un planteur de canne à sucre (encore une scène difficile, avec un esclave dont le bras a été pris dans un énorme engrenage). Le planteur entre dans une rage folle quand il réalise que son intendant a engrossé ses trois jeunes filles. Il ne lui faudra pas longtemps pour s’arranger afin que Cobra Verde soit envoyé en Afrique avec la mission de ramener une cargaison d’esclaves. Ce qu’on ne lui a pas dit, c’est que le roi du Dahomey est un fou sanguinaire qui met à mort les blancs (visage noirci, parce qu’il est interdit de toucher aux hommes blancs).


Ce film est l’ultime collaboration de Werner Herzog avec son acteur fétiche Klaus Kinski. Kinski apparaît tel qu’en lui-même, petit homme au visage inquiétant, capable néanmoins de faire sentir qu’il se sent prisonnier de son physique particulier (chevelure jaune paille hirsute). Il a des moments d’exaltation (transport d’un tronc qui va servir de bélier, par exemple), mais il ne fait pas autant d’effet qu’en interprète d’Aguirre ou Fitzcarraldo. La faute aussi au scénario qui laisse des trous béants dans la narration. Cobra Verde annonce qu’il fait peur, mais on n’a jamais vu le bandit à l’œuvre, car le début notamment fait d’immenses raccourcis qui vont largement au-delà de l’ellipse. Le spectateur se demande où se situe l’action, alors qu’on voit Francesco dans des lieux très éloignés les uns des autres sans que le film fasse sentir qu’il s’est déplacé.


Le film n’est pas non plus un plaidoyer contre l’esclavagisme. Quand Cobra Verde se lance dans cette voie, on lui force un peu la main, mais on sent que ce qui compte pour lui, c’est de trouver une échappatoire à une situation sans issue. Plutôt bouger que mourir. Ensuite, en Afrique, il est confronté à des situations où il compose avec les événements. Il découvre un fort vidé de ses occupants et se fait expliquer pourquoi par le seul homme qu’il rencontre. La traite des noirs est compromise ? Peu importe, il fait son possible pour parvenir malgré tout à ses fins. Face au roi du Dahomey qui vit à l’écart avec ses troupes, il n’a pas grand-chose à lui proposer, mais il cherche toujours des esclaves. Passé dans le camp des opposants au roi, il tire parti des circonstances pour lever une armée d’amazones. Et, dès qu’il le peut, il embarque une cargaison de jeunes noirs dont il ne s’est pas gêné pour examiner la dentition pour vérifier leur âge et leur aptitude au travail. Il n’hésite pas non plus à tirer une toute jeune fille du fond d’une sorte de puits où il l’a choisie. Des jeunes filles, il y en a pour l’accueillir avec une danse et des chants rituels. Le plus convaincant dans le film est sans doute cette façon de faire sentir l’ambiance africaine dans de longues séquences où Werner Herzog donne juste à observer parce qu’il a planté sa caméra au bon endroit et que tout commentaire serait superflu. Le réalisateur ayant eu beaucoup de mal notamment avec une nuée d’amazones finalement incontrôlables (on les voit s’entraîner au combat au corps à corps armées d’une lance) et n’étant pas particulièrement à l’aise sur le continent africain, ce grand voyageur habitué des situations conflictuelles a néanmoins su tirer parti des circonstances, à l’image de son personnage central. En dépit de sa capacité à s’en sortir malgré des aléas défavorables, Werner Herzog livre ici un film au scénario un peu bancal, avec plusieurs situations qui créent le malaise et un personnage central très individualiste. Le film mérite néanmoins d’être vu pour ses qualités esthétiques (décors, lieux de tournage, couleurs) et son ambiance très particulière.


Cobra Verde se démène beaucoup. Vaine agitation illustrée de manière saisissante par le final.


[ Longue séquence où il tente de tirer (vers l’eau, l’élément originel) un bateau échoué sur le sable d’une plage, sous l’œil d’un jeune poliomyélite au corps déformé par la maladie (certaines choses ne se défont pas). ]

Electron
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le 16 mai 2014

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