Coco avant Chanel souffre malheureusement des éternels défauts propres aux biopics. Il y a d'abord cette volonté de respecter les faits historiques avec une approche parfois trop documentariste, aux dépens de l'objet cinématographique. On se retrouve alors face à une réalisation paresseuse, une trame souvent trop linéaire donnant un résultat ultra-prévisible, et un besoin quasi-systématique de conclure tragiquement, sans doute pour marquer encore un peu plus la grandeur de l'artiste.


L’œuvre souffre de son académisme dès les premières minutes, en nous montrant Coco Chanel enfant, pour que le spectateur comprenne bieeen le personnage et son caractère bieeen trempé. Puis on insiste looourdement sur sa vie de pauvre couturière et vulgaire chanteuse qui rêve de paillettes et de music-hall. Tous les poncifs habituels sont présents pour nous faire comprendre d'où elle vient et ce qui fait ce qu'elle est. Comme dans chaque biopic, tout s’enchaîne très vite, les événements ont finalement peu d’impact, et le spectateur, n’ayant pas réellement d’indicateur temporel, n'arrive à s’immerger pleinement.


Mais ce n’est pas grave, car le rythme se stabilise progressivement, et Anne Fontaine (réalisatrice) arrive à instaurer une atmosphère singulière. Elle prend le temps de poser ses personnages, les confrontent à leurs émotions, et on évite heureusement le côté « catalogue » des biopics où plein de personnages entrent et sortent de la vie du protagoniste sans réellement servir l’intrigue ni nous émouvoir.


Anne Fontaine s’émancipe un peu dudit académisme par un humour subtil et corrosif particulièrement jouissif. Plus généralement, l'écriture est sublime, tranchante et parfois touchante, elle vous griffe et vous brise en un instant. La délicatesse du verbe et les quelques anachronismes de langage contrastent et dynamisent des situations parfois trop banales. Le texte est parfaitement interprété, d'abord par Audrey Tautou, effrayante et habitée, le rôle lui colle étonnamment à la peau. D’un naturel désarmant et parfois même hilarante, la timide petite Audrey à la sensibilité apparente (du moins, c'est l'image que j'en ai) interprète avec rigueur une femme froide et cynique. Le choix de l'actrice se révèle finalement ingénieux lorsque l'on découvre le caractère à fleur de peau de Coco. De son côté, comme à son habitude, Benoit Poelvoorde excelle, le rôle semble lui être taillé sur mesure. On sent le plaisir qu'il a à jouer son personnage hédoniste et extravagant.

Ce sont finalement ces deux têtes d’affiche, dont la complicité crève l’écran, qui finiront par porter le film de bout en bout, camouflant ses airs de petit téléfilm feuilletonnant.


En effet, Anne Fontaine a choisi de s’intéresser à la vie de Coco, la femme, avant Chanel, l’immense créatrice. L’œuvre porte donc bien son nom. Ce choix intéressant permet de mettre en lumière non pas la construction d'une créatrice hors norme mais celle d'une icone féministe (même si les deux sont liées : son œuvre n’est d’ailleurs que la matérialisation dudit féminisme (refus du corset, vêtements masculin-féminin, découpe oversize…)). Coco Chanel s’est construite elle-même, d'abord sans père, puis refusant d’être sous la tutelle d’un homme. Le tout est traduit à l’écran avec finesse, le trait « féministe » n’est pas forcé.
Toutefois, malgré tout l’intérêt que l'on peut porter à Chanel (la personne), l’œuvre trouve ses limites et finit par s'engluer dans l'anecdotique. Aucune ossature ne semble réellement se dresser, le film perd de la vitesse et on finit presque par se demander quel en est l'intérêt. Le tout ne semble finalement pas avoir une réelle ambition cinématographique en dehors de l'hommage. Coco fait de la couture, Coco a la plage, Coco tombe amoureuse,... oui, et ?
Rajoute à cela la pudeur avec laquelle Anne Fontaine traite son sujet. Chanel semble finalement aussi inaccessible au spectateur qu’elle ne l’est aux yeux des hommes. Tout est distancié, mesuré, gardé pour soi. On pourrait y voir les mêmes défauts que le cinéma d'une Sofia Coppola par exemple, c'est-à-dire à vouloir dresser un portrait énigmatique, mais en prenant tellement de distance (pour éviter tout pathos) que cela créé une sorte d’hermétisme. Tout semble figé, lointain, à la limite du soporifique.

Coco avant Chanel, trop impénétrable, ne transcende pas non plus son spectateur. Anne Fontaine, sans doute trop respectueuse, se refuse toute fantaisie et n'apporte aucun enjeu. Tout est convenu et prévisible, jusqu'au dénouement, presque brutal. Un soupçon d'émotion envahie le spectateur, mais il reste trop bref, indolore. Le mystère Chanel reste entier, la carapace ne se fissure jamais réellement.
Et c’est tout là le principal défaut des biopics : comment pouvoir dresser le portrait d’une icône, dont la fascination traverse les décennies, en l’espace de deux petites heures ?

sega_sunset
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le 15 mars 2019

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