Peut-on faire coexister l'humour noir et la bien-pensance ?

Parfois, le cinéphile têtu veut prouver à lui-même qu'il a tort, démontrer que son être est envahi par les préjugés et que non, bien sur que non, la comédie française contemporaine n'est pas totalement nulle, que certains films rattrapent et sauvent l'honneur, que le rire est possible aussi dans les salles de cinéma françaises pour des œuvres françaises. Quel autre choix que ce film Coexister du grand Fabrice Éboué pour se réconcilier définitivement avec ce genre si controversé ? Les médias criaient avec entrain à l'effroyable transgression, le travail de l'artiste laissait deviner une certaine insoumission aux barrières et aux standards de l'humour classique puis le thème lui aussi inspirait la confiance : la religion, quoi d'autre pour rire franchement ? Pourtant, ce film n'échappe malheureusement pas à la classique médiocrité cinématographique française, toute fait d'outrance, de vulgarité, de grossièreté, d'angélisme, de gentillesse et d'une forme d'humour potache insupportable resté au stade anal du rire. Comme d'habitude, le concept du film était de toute façon en carton, et l'idée d'un groupe de musique composé d'un rabbin, d'un prêtre et d'un imam ne pouvait être que mauvaise, tant elle était trop racoleuse et franchement immature. Là encore, malgré quelques perles très drôles (j'ai compté trois scènes sur tout le film), et une ambiance pas trop mauvaise, rien ne fonctionne, tout est cliché, tout est vulgaire, tout est obscène, mais ce que l'on ne trouve pas, et c'est là le plus grave, c'est bien la transgression propre à l'humour noir.


Seule la transgression fonctionne dans l'humour noir, et cette transgression suppose de flirter sans cesse avec la limite, de jouer avec elle, de la franchir, de la caresser, d'être juste, toujours adéquat et jamais attendu. Malheureusement, le film tombe dans tous les panneaux, dans tous les stéréotypes et évite tous les vrais sujets religieux qui auraient pu provoquer le rire. Le problème n'est pas que Fabrice Éboué se moque de la circoncision, du voile, de la pédophilie des prêtres, de la victimisation des Juifs, de l'hypocrisie religieuse, mais le soucis est qu'il le fait très mal, de manière très convenue, de manière très sirupeuse et sans jamais être mordant en réalité. Jamais le spectateur ne se dit réellement : Oh il a osé, au pire, il reste de marbre, au mieux, il sourit. Ensuite, le spectateur retrouve cette posture bourgeoise bienveillante de la morale à deux balles des comédies françaises, pleine de bons sentiments, qui fait que l'on sait très bien prévoir à l'avance la scène de fin, quand on ne s'est pas endormi avant celle-ci ou quand on n'a pas quitté la salle. Le pire, c'est que le cinéphile sait qu'il y a du talent derrière tout ça, mais un talent bâclé, muselé, timoré et un peu fainéant peut-être, à un point tel que le réalisateur est meilleur en interview que son film. Les acteurs sont ensuite malheureusement très mauvais, à part peut-être Audrey Lamy, qui est la seule à savoir tirer les sourires, et qui tire vers le haut le film, qui circule pourtant tout de même au niveau du caniveau. La question n'est pas de dire que l'on ne passe pas un bon moment, mais le sourire ne vaut pas un rire, et un rire convenu ne vaut pas un rire outré.

PaulStaes
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le 15 juin 2018

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Paul Staes

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