Le grand dadais et la petite peste

Voici un film dont l'esthétisme glaçant prend nettement le pas sur le caractère humain. Rien à dire, Cold War mérite amplement sa palme de la meilleure mise en scène au dernier festival de Cannes : superbes images en noir et blanc, jeux d'ombres et de lumière, virtuosité dans la composition des scènes et la façon de les filmer. Avec en prime le petit geste qui tue : image carrée (ou presque, je ne connais pas le format exact et d'ailleurs, je m'en fous).


Et tout ça nous donne une très belle carte postale musicale des années 50, entre réalisme populaire du bloc de l'est, façon Staline, et caves de jazz à l'ouest, façon Boris Vian. Le niveau de la bande son est à l'avenant de celui de la réalisation, c'est à dire excellent. Personnellement, j'ai plutôt un faible pour les polyphonies polonaises ou serbes, c'est sans doute mon côté roots. Mais ce n'est pas véritablement le propos : pourquoi n'ai-je, après ce début de critique aussi flatteur, décerné qu'un modeste "six" à ce film ?


Eh bien, ce ne sont même pas les acteurs, qui s'en tirent plus qu'honorablement. Mais le fait est que le parti pris esthétisant du réalisateur tue absolument toute émotion dans ce film. Ce qui est un peu ennuyeux, puisqu'il s'agit quand même d'une grande histoire d'amour, et qui plus est censée être triste. Et pourtant, je ne suis pas spécialement fan de mélos, mais là, tout de même... Impossible, pour moi du moins, d'y voir autre chose que des personnages de papier glacé, qui sont quasiment leurs propres caricatures. Impossibilité quasiment clinique également de ressentir de l'empathie pour eux, tant ils sont des archétypes d'artistes (plus ou moins, car, en plus, ils se démerdent mal) maudits. Même le truc mystique, avec la vieille église en ruine, ne décolle jamais. En forçant un peu le trait, le seul finalement qui m'aura un peu ému est Kaczmarek, fonctionnaire zélé du parti communiste polonais. Parce que c'est un pauvre type, comme on en voit parfois dans la vie réelle.


Du coup, j'ai passé une heure et demi à admirer de belles images en noir et blanc et à écouter de jolies chansons traditionnelles d'Europe de l'est. Mais ce film ne parle pas de la vie telle qu'elle est réellement. Et pour moi le cinéma, c'est plus que de la virtuosité : un film, c'est un tout, et pour qu'il soit réussi, il est nécessaire que tous les ingrédients soient présents, de qualité et bien dosés. Et là, il en manque une bonne partie.

Marcus31
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le 28 oct. 2018

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