Puisque le cinéma est le média le plus populaire, les nations auraient tort de s’en passer dans les périodes les plus troublées de son histoire : la seconde guerre mondiale sera ainsi l’occasion d’une propagande active, mobilisant les plus grands, du Lang de Chasse à l’homme au Lubitsch de To be or not to be, souvent pour des résultats assez réjouissants. Le duo Pressburger/Powell servira ainsi la cause pour l’Angleterre.


Ambitieuse saga s’étalant sur près de 3 heures et quarante ans de récit, Colonel Blimp retrace l’amitié contrainte de deux hommes et les rapports de leurs nations respectives, l’Allemagne et l’Angleterre. Après une introduction placée sous le signe de la farce, où un exercice vire à l’insubordination (« The war starts at midnight » running gag dévoyé par les soldats jouant les allemands, expliquant que ces derniers n’ont pas de principes et ne respectent donc rien), le général va revenir sur toute sa carrière militaire, ponctuée par une rivalité historique avec le pays voisin de son île.


Colonel Blimp a tout de l’ample fresque : historique, elle retourne aux origines ancestrale d’une lutte, jusqu’à s’interroger discrètement sur la fatalité de la guerre, celle-ci ne cessant de se répéter ; sentimentale, elle fait bien entendu intervenir une femme, et un triangle amoureux, principe classique s’il en est ; humaniste, elle construit une amitié mise à l’épreuve par les décennies chaotiques que connaîtra l’Europe, et permet, jusqu’à son dernier quart d’heure, d’humaniser l’allemand.


D’un duel à l’épée, signe des temps anciens, à une convalescence qui s’ouvre au marivaudage, d’une lutte par orchestres interposés au sacrifice de l’individu condamné à nier son amitié face à ses congénères, le temps passe et épaissit les destinées : l’ascension militaire, le renoncement sentimental, notamment à travers la figure de la femme idéale, donnant l’occasion à Deborah Kerr de jouer trois personnages différents.


Cet écheveau tient du miracle dans son équilibre, et tresse avec tact les différents registres pour servir sa cause : humaniser, émouvoir, et agiter la fibre patriotique au nom des valeurs véhiculées par ce récit au long cours. Car le discours final de Theo, représentant de l’Allemagne, permet de le distinguer des Nazis et de nier toute possibilité d’humanité en eux.


Moins exotique que Le Narcisse Noir, moins flamboyant que Les Chaussons Rouges, Colonel Blimp garde tout de même cette signature du duo britannique : un souffle, une capacité à construire sur la durée des statures qui ne départissent jamais de leurs failles, et qui valsent, au gré de l’Histoire, avec une fébrilité toujours intacte pour défendre certaines valeurs humanistes.

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le 10 févr. 2017

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Sergent_Pepper

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