Mélanger comédie romantique et film de monstre géant ? C’est le pari fou que s’est lancé Nacho Vigalondo avec son nouveau long métrage. Bien plus qu’un simple gadget filmique, Colossal est une véritable proposition de cinéma, une rupture des tons et des genres qui s’avère absolument délicieuse et un remède idéal contre l’apathie cinématographique ambiante.


Anne is away


On connaît l’amour de Nacho Vigalondo pour les intrigues expérimentales. Mais, avec le bancal Timecrimes et le catastrophique Open Windows (mon dieu que ce film est moche), le cinéaste espagnol n’était pas parvenu à se frayer une place dans le cœur du public (ou, en tout cas, dans le mien). C’est maintenant chose faite avec Colossal, projet qui s’annonçait on ne peut plus excitant de par son histoire et son mélange des genres. Nous y suivons les péripéties de Gloria (Anne Hataway), une jeune femme un peu trop penchée sur les soirées bien arrosées, ce qui a tendance a exaspérer son copain (Dan Stevens). Celui-ci, lors d’une énième matinée de décuvage pour Gloria, décide de la mettre à la porte. La jeune femme se retrouve alors contrainte de retourner dans sa banlieue natale et d’investir l’ancienne maison familiale. Alors que de vieux liens se renouent avec les habitants et que son vieil ami Oscar (Jason Sudeikis) lui offre un job dans son bar, un monstre gigantesque fait son apparition à Séoul et terrorise la ville. Et Gloria découvre très vite que celui-ci imite ses moindres faits et gestes… C’est donc la belle Anne Hataway qui se glisse dans la peau de cette femme en mal de vivre. Et il est impossible d’aborder cette critique sans parler de son incroyable performance. En plus d’avoir permis au film d’exister (son approbation a poussé des producteurs à enfin financer le projet), elle trouve ici son meilleur rôle à ce jour et captive à chaque apparition. L’écriture subtile et l’aspect tragi-comique du récit lui permet d’offrir un jeu tout en nuances et de donner vie à ce protagoniste terriblement humain qui obtient la totale empathie du spectateur.


Si Colossal réussit son pari, c’est parce qu’il ne se limite jamais à son simple concept. En effet, tel est le grand piège de ces « high concept movies » : proposer une idée originale sans jamais explorer réellement ses enjeux narratifs et émotionnels. Colossal en est très loin : c’est un film vivant, en constante évolution et dont la richesse narrative et psychologique absorbe totalement le spectateur. Le réalisateur jongle d’une main de maître avec ses différents éléments et propose un objet de cinéma à la fois original et profond. À l’heure où Hollywood tente de lancer son Monsterverse à coup de films tous plus mauvais les uns que les autres (le Godzilla d’Edwards, Kong : Skull Island…) et où, de façon général, le blockbuster se fait de plus en plus lisse et interchangeable, Colossal fait donc un bien fou. Beaucoup plus petit dans son budget mais tellement plus grand dans ses idées et ses qualités artistiques et réflectives… Ainsi, le film laisse une grande place à l’imagination du spectateur et se montre très malin dans sa manière d’exposer ses idées et concepts pour mieux les exploiter tout au long de l’intrigue.


Street Fighters


Nacho Vigalondo s’amuse constamment à déjouer les attentes du public et parviendra même à désarçonner le plus aguerri des spectateurs. Alors que le long métrage semble tranquillement s’installer dans une intrigue de comédie romantique on ne peut plus classique (kaiju mis de côté), et que l’on s’attend a voir apparaître à l’écran l’habituelle romance salvatrice, Colossal n’hésite pas à s’assombrir et à emprunter des chemins insoupçonnés. Les enjeux se font de plus en plus graves et l’évolution de certains personnages laisse apparaître une noirceur inattendue. Sous ses airs de dramédie légère et fun, le film aborde des sujets aussi sérieux et profonds que la dépendance affective, les mécanismes de manipulation ou la dépression. Vigalondo filme l’émancipation d’une femme dans un monde d’hommes tout puissants, aveuglés par leur propre vanité et terriblement lâches. Derrière sa gentillesse apparente, la gente masculine cache ici un processus pervers de contrôle sur l’autre et une volonté malsaine de sa destruction morale. A noter d’ailleurs l’exceptionnelle prestation de Jason Sudeikis, tout en contradictions, et dont le basculement intérieur froid laisse entrevoir toutes les névroses du personnage.


La puissance des images et la narration exemplaire de Colossal permettront à l’émotion de naître autant dans de simples scènes de la vie quotidienne que lors de pics dramatiques forts. Les révélations sur les origines du monstre, intimement liées au personnage de Gloria et à son trauma personnel, sont un autre tour de force du film. Lorsque Vigalondo explique enfin la présence du mastodonte, il le fait avec une sublime poésie sombre, qui tient autant du conte pour enfant que du cinéma fantastique espagnol. La créature se posera comme une métaphore des relations destructrices et chaotiques de Gloria. ci, l’état intérieur de chacun a inévitablement des effets sur le monde extérieur… Une idée portée à son paroxysme lors d’un final en apothéose, symbole de la prise de contrôle de la jeune femme sur sa vie empêtrée jusqu’alors dans les rouages du dictât masculin. Car si nos démons les plus enfouis parviennent à détruire des villes entières, inutile des les combattre, il faut les apprivoiser.


Colossal marque autant l’esprit que la rétine. Le film s’impose comme une œuvre généreuse et ingénieuse, un électron artistique libre aux multiples facettes. Nacho Vigalondo propose ici un fascinant portrait de femme blessée et perdue qui parvient enfin à prendre sa vie en main et à faire face à un traumatisme enfouis lié, une fois de plus, à la bassesse des hommes. Un film féministe ? Oui, s’il l’ont veut, mais un film humain avant tout, et un vrai courant d’air frai de cinéma.


critique originale : https://www.watchingthescream.com/critique-de-colossal/

watchingthescream
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le 30 juil. 2017

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Aurélien Z

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