Un film malade, à mi-chemin entre polar à la Olivier Marchal et véritable plongée en enfer

Vincent Milès (Ymanol Perset) est un jeune armurier dont le nom est empreint d’une lourde charge symbolique. Après avoir remporté le championnat du monde de course avec tir sur cible, il est très sollicité pour intégrer différents services de police d’élite. Problème, il préfère rester dans l’ombre. Sa rencontre avec Milo Cardena (Joey Starr) va l’entraîner dans les ténèbres.



Un film à la genèse compliquée

La sortie de Colt 45 cette semaine constitue un non-événement des plus intéressants. Le film bénéficie d’un casting solide, avec un jeune acteur prometteur, des gueules du cinéma français (on croise au détour d’une scène Joe Prestia et Philippe Nahon) et des acteurs assez connus en la personne de Gérard Lanvin, Alice Taglioni, et Joey Starr. La bande annonce était prometteuse, et la co-production Warner / Thomas Langmann promettait une bonne distribution.

Problème : en 2012, Fabrice du Weltz twitte que le tournage est terminé et qu’il entame la postproduction.

Un an et demi plus tard il s’embrouille avec quelqu’un (un critique ?) et lui dit que tel Jon Snow il ne sait fichtre rien de ce qu’il avance.

Il apprend finalement que son film sort le 6 août via les réseaux sociaux, et conclut en en faisant la pub du bout des lèvres sur son compte :

Whatever. I've worked so hard, I earned it. So be it. http://t.co/3putXFlWQj

— fabrice du welz (@fabriceduwelz) 4 Août 2014

Que s’est-il passé entre ce tournage plein d’enthousiasme et une sortie discrète et sans projection de presse ?

On parle de brouille entre du Welz et ses acteurs (notamment Joey Starr, hypothèse crédible vu que les deux personnages semblent assez sanguins) de film possiblement remonté dans le dos, mais au fond, on n’en sait rien, et puis on sait comment tous les faits sont déformés au fur et à mesure des récits.

Pour résumer : on sait qu’il y a un problème. On ne sait pas de quoi il s’agit. Mais on sait qu’il est suffisamment important pour qu’un film dont la bande-annonce n’est pas moins attirante qu’une autre soit torpillé : l’absence de promotion débouchant sur un démarrage tout moisi.

Mais nous, on s’en moque, parce que l’on sait que des films faits dans des conditions chaotiques et qui ont eu une vilaine carrière au box office peuvent être très bons. Alors, jugeons sur pièce.

L'une des superbes affiches du film par Gilles Vranckx

Zwei Seelen wohnen, ach ! In meiner Brust

Ce vers du Faust de Goethe, que l’on peut traduire par : « deux âmes cohabitent, argh ! Dans ma poitrine », résume parfaitement cet étrange film qu’est Colt. 45, car il y a en effet en lui deux films pour le prix d’un.

D’un côté, il y a le film que les producteurs espéraient peut-être, et qui correspond à tout ce que je déteste dans le polar français actuel. C’est à dire, le film de couillu, avec Gérard Lanvin et Simon Abkarian qui se tirent la bourre et s’insultent en public, avec des flics hors la loi qui vont au braquo, et Joey Starr au milieu qui compte les points. Ce film là est présent, et il est assez déplaisant : voir Joey Joey flic d’élite avec sa bedaine, les flics clichés qui poussent le petit jeune dans les casiers pour lui faire comprendre qu’il n’est pas du même monde, sans parler de quelques dialogues aptes à déclencher ce geste de la paume posée sur le visage qui plaît tant à internet.

D’un autre côté, il y a le film dont rêvait peut-être du Weltz, un film d’une noirceur totale, qui démarre comme un film d’arnaque à la David Mamet pour se poursuivre en descente en enfer, un film avec des scènes d’action courtes, mais d’une violence rarement vue dans le cinéma français, un film visuellement superbe où le duo Debie / Du Welz fonctionne à nouveau à merveille, sculptant les corps en les enveloppant de noirs très marqués. Je ne saurai trop insister là dessus : le film est beaucoup trop beau par rapport à ce qu’il raconte.

Cette alliance impossible crée un drôle de sentiment sur le spectateur, qui est tour à tour navré et admiratif. Une bivalence présente à tous les niveaux :

- D’un côté Ymanol Perret est physiquement impressionnant, et son rôle appelle à une performance intériorisée. D’un autre, il a beaucoup de mal à tenir le film sur ses épaules tant il manque de charisme.

- D’un côté la bande-son tranche avec ce qu’on entend en France par son aspect electro-indus, avec des ambiances plutôt sympa, d’un autre côté, on s’attend presque par moment à entendre crier Mortal Kombat !

- D’un côté certaines fusillades sont impressionnantes, d’un autre on a parfois du mal à comprendre pourquoi le héros agit comme il le fait dans celles-ci.

- D’un côté, la violence sèche est au cœur du film, mais de l’autre la brièveté des scènes d’action ne permettent pas de racheter le film avec la même netteté que celles de The Raid 2.

Un véritable yo-yo émotionnel, où un plan idiot peut déboucher sur le plan le plus jouissif de l’année, ce qui en fait un film qui s’adapte mal à un système de notation critique classique.


Et alors c’est bien ?

Et bien oui et non. Tout dépend de ce que vous attendez d’un film. Si pour vous le scénario prime, n’allez pas le voir, parce qu’il est écrit avec les pieds et pas super bien interprété. Si au contraire vous allez voir un film pour la mise en scène et le dialogue avec le genre qu’il instaure, vous allez aimer.

Trop noir pour ceux qui attendent un polar commercial, trop mal écrit pour ceux qui rêvaient d’un chef d’œuvre crépusculaire, Colt. 45 a peut-être causé le désamour à force de ne pas savoir qui il voulait séduire.

Pourtant, au final, j’y ai pris le genre de plaisir que l’on a à regarder un poliziottesco (de luxe), ces polars italiens pour l’époque très violents, dont le scénario léger était racheté par ces plans impressionnants qui vous donnaient le sourire pour le reste de la journée.
kevo42
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le 7 août 2014

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