L'art du dépouillement selon Boetticher

Je termine le cycle des 7 westerns réalisés par Budd Boetticher avec sa vedette Randolph Scott, et déjà j'ai un petit coup de blues de quitter cette association qui fut mirifique et qui nous a offert une série de westerns flamboyants et rutilants, 7 petites perles de la série B dont 3 au moins peuvent s'aligner sans honte dans le western hollywoodien auprès des westerns de John Ford, d'Anthony Mann ou de Howard Hawks, oui oui, vous ne rêvez pas, il y a juste une différence de budget.
Pour cette ultime collaboration entre Budd et Randy, la grande équipe est réunie : un scénario d'une densité incroyable de Burt Kennedy, la musique de Heinz Roemheld, la production de Harry Joe Brown, et toujours ces seconds rôles consistants et pittoresques (j'y reviendrai).
Comanche Station réunit toutes les qualités du réalisateur : la rigueur du style, la concision et la rapidité d'exécution, une certaine tension latente, toutes les conventions du genre westernien qui sont respectées, la mise en scène exigeante et précise, bref c'est une véritable épure où tous les éléments pré-cités sont poussés à leur plus haut niveau. Pas un plan, pas un geste, pas un regard qui n'ait son utilité, c'est l'art du dépouillement selon Boetticher, car même sans lyrisme baroque, sans souffle épique ou réalisation tapageuse qu'on rencontre chez certains westerners, le réalisateur tisse des rapports denses entre ses personnages, et la révélation finale éclaire soudainement à posteriori toute une partie du film, c'est l'une des conclusions les plus désespérées de l'auteur de Sept hommes à abattre.
Tout ceci témoigne du talent conjugué de Burt Kennedy au scénario et de Budd Boetticher. Le scénario adopte d'ailleurs une trame assez proche de celle de la Chevauchée de la vengeance, où le faux-vrai bandit incarné avec une délectable conviction par Claude Akins rappelle un peu celui joué par Pernell Roberts ; Akins a plus de dialogue que Randy et lui vole des scènes, ce dont Randy ne se vexait pas comme je l'ai expliqué dans une précédente critique (au contraire, il encourageait les acteurs de second plan). Malgré ça, Budd trouve une variation intéressante, les séquences d'action sont limitées au minimum, d'où une psychologie bien travaillée, et le casting autour de Randy composé de Nancy Gates, Claude Akins, Skip Homeier et Richard Rust est bien mis en valeur, tandis que notre héros, mûri par la vie, au comportement complexe, promène son visage de pierre (qui lui vaudra le surnom de "Stoneface") à travers ces 1h10 bien remplies. Pour moi, ce film est tout sauf un banal petit western de série ou de complément de programme, je crois que je le préfère à Sept hommes à abattre qui pourtant représente la quintessence du western boetticherien.

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le 12 mars 2021

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Ugly

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