Hell or High Water ?


C’aurait pu… C’aurait dû…
Ah si seulement il y’avait eu un metteur en scène…
Mais bon Dieu, si seulement il avait su filmer.


Regarde:


Le sujet est bon.
Deux braqueurs de banques. Deux Texas Rangers à leurs trousses. Tout ça va mal finir… Le sujet est bon ! On le sait depuis l’invention du Western. Parce qu’il est question de justice. De se faire justice, quitte à enfreindre la loi… quitte à ne plus savoir qui fait le mal ou le bien, ni au nom de quoi on fait usage de la violence.


Le récit est bon.
Il nous surprend chaque fois qu’il peut. Il ne nous dit pas tout, tout de suite. il se met en place lentement. On est pas pris pour des idiots. C’est bien de pas être pris pour un con: c’est devenu rare. Du coup les deux abrutis de braqueurs du début, on ne sait plus très bien quoi en penser. On relativise, on change d’avis, de point de vue. C’est plus complexe qu’un Marvell.


Les personnages sont (presque) justes. Le vieux couple de Texas Rangers est certainement plus intéressant que les deux jeunes têtes brulées. La faute à deux comédiens très bons qui savent donner de l’épaisseur à ce qu’il jouent, (Jeff Bridges au bord du cabotinage mais, franchement on lui pardonne aisément, quand le pauvre Chris Pine a bien du mal à développer plus de 2 expressions de visages) mais surtout à une écriture un peu plus fine et moins proche de l’archétype. Les deux vieux croutons qui attendent sagement que les braqueurs se pointent sur leur prochaine cible… c’est drôle, c’est original. Et puis on creuse encore un peu ce sillon, les voleurs ne sont pas ceux qu’on croit: Le deuxième Texas rangers qui subit les blagues racistes (mais drôle j’y peux rien) de son collègue depuis des années a du sang de Peau Rouge dans les veines et il en connait un rayon en terme d’expropriation. Les vrais voleurs sont derrière des bureaux et dégainent leurs attachés-cases.


Le décor est juste, les seconds rôles sont tous parfaits. Le Texas. Les plaines infinies brûlées par l’incendie, les cowboys et leurs troupeaux en fuite, et la pauvreté crasse qui ronge tout. La pauvreté, la misère, la bêtise. Ce cocktail inflammable qui n’attend qu’une étincelle, puisqu’ici tout le monde porte une arme. Le flegme des Texans, leur âpreté, leur dignité, leur fierté. Le véritable sel de ce qui ne serait qu’un vulgaire film d’action sans eux.


La musique ! Ah, sûr, il faut aimer le folk et la country. On peut juger qu’elle est parfois un peu trop présente, et qu’on aurait du entendre plus souvent le vent souffler sur le désert qui avance. Mais dans ces voix rauques, c’est encore la chaleur, le flegme, l’âpreté, qu’on entend… un goût certain pour l’ombre dans un pays où le soleil ne fait pas de cadeaux.


Voilà donc une longue liste des choses importantes qu’apporte le film. Et qui sauront contenter beaucoup de monde. On pense aux Coen, évidemment, (on regrette que le portait des deux braqueurs soit si flatteur d’ailleurs, un peu moins d’héroïsme les auraient rendus plus humains) au Badlands de Malick, et plus loin, à toute l’histoire du Western.


Seulement le film souffre. Parce que le cinéaste ne connait que la moitié de son métier, celle qui sait articuler une phrase compréhensible, mais sans style, sans âme…


Son premier plan, la seule idée du film (en dehors du scénario donc) est terriblement complexe. Inutilement complexe. Heureusement la vieille employée de banque vient sauver la séquence.


Après ça, c’est le festival du téléfilm… Champs contre-champs, sur-découpage inutile, profondeur de champs non exploitée, etc… Pas un plan qui sorte du lot. Pas de point de vue sinon celui de sagement rendre compte (on pourrait se laisser aller à croire que c’est devenu suffisant je vous l’accorde, quand on voit la bande annonce du dernier Dolan, mais ce serait une cruelle preuve de faiblesse.)… Alors que le scénario et l’univers décrits le permettait largement, aucune fantaisie, aucune invention ne viendront faire décoller le réalisme de ce portrait.


Je pense, pour prendre un exemple, à un plan trop bref (connard de monteur - je me permets de l’insulter, je suis dans la branche coupage/collage depuis quelques années maintenant) celui de Jeff Bridges sorti dans la nuit avec sa couverture, errant dans la rue comme un vieux fou, un vieux sage. Ce genre de moments auraient du habiter tout le film pour en faire une oeuvre réellement crépusculaire. Car ce que le récit se proposait de questionner n’est pas pris en main, n’est pas montré, ou si peu. La condition humaine, la fatalité, l’ironie tragique, l’injustice, le courage, le sacrifice, la vengeance, la mort. Autant de thèmes qui auraient du trouver à s’épanouir autrement que dans cette sobriété sans âme.


Le cinéma ce n’est pas qu’une bonne histoire. Il faut un souffle, il faut une vision, il faut une relation au monde qui ne se contente pas d’une description. Il faut bousculer, il faut questionner, il faut donner à voir ce qu’on ne voit pas.


C’est un métier. Et il se perd.


C’est une force qui décline, comme celle d’un Ranger vieillissant, lorsqu’il mesure combien il manquera peu au monde.

antoninbenard
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le 8 sept. 2016

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Antonin Bénard

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