Comme un homme libre
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Comme un homme libre

Téléfilm de Michael Mann (1979)

Lorsque l'on écrit au sujet des premières œuvres d'un grand cinéaste, il est généralement chose aisée de procéder à un raccourci critique qui dirait en substance que les grandes thématiques de son cinéma sont déjà présentes. C'est un écueil intellectuel dans lequel je vais m'engouffrer car à la vision de The Jericho Mile, il est évident d'y déceler en germe tout le corpus Mannien.


Comme Spielberg avant lui avec Duel, Mann est passé par la case télévision avant de faire son entrée vers la Porte du Paradis. Et comme le grand Steven, rien ne laisse apparaître une quelconque réalisation télévisuelle. On peut éventuellement repérer les fondus au noir pour les spots publicitaires mais à part ceci et le format 1:33 :1, la mise en scène fait véritablement corps avec la maestria et la concision Mannienne.


La figure du héros et les grands thèmes de son oeuvre sont condensées dans ce projet qui était pour le réalisateur la récompense et un renvoi d’ascenseur des producteurs de shows télévisés comme Police Story ou Sergent Anderson dans lesquels Mann s'est fait la main en tant que scénariste.


Comme un homme libre raconte l'histoire de Larry "Rain" Murphy, détenu dans la prison de Folsom en Californie, qui pour commuer sa peine à perpétuité, ne cesse inlassablement de courir dans la cour du pénitencier. Cela attirera l’attention du psychologue de la prison qui va lui proposer de s’entraîner dans le but de rivaliser avec les plus grands sportifs du pays en prévision des prochains Jeux olympiques. Au départ réticent, Larry accepte le deal malgré son scepticisme envers l’autorité en place.
Cette démarche est salutaire car elle permet à ce marginal solitaire de s'évader aussi bien mentalement que physiquement de cette micro société carcérale inféodée aux mêmes règles et aux mêmes problèmes auxquels le monde extérieur fait face. Racisme, communautarisme et violence sont le lot quotidien de cet échantillon d'une certaine humanité.
Murphy fait figure d'anomalie parmi eux car c'est un individu essentiellement régit par ses propres valeurs et un non-conformisme forcené envers la population qu'il côtoie par intermittence lors de ses séances de running. Le seul prisonnier qui arrive à l'atteindre est cet afro-américain un peu trop loquace et qui chemin faisant, abaisse les barrières du mutisme dans lequel s'est cloîtré notre runner.


On aperçoit déjà l'archétype principal qui irriguera tout le cinéma et les œuvres à venir de Mann, en particulier son premier long métrage, le Solitaire (tiens tiens) interprété par James Caan. Ce dernier sera en quelque sorte le prolongement fictif de Murphy. Tout comme le Solitaire, Murph' ne compte que sur lui-même et assume le crime qui l'a mené directement dans sa geôle. Il le martèle au psychologue de la prison tel un mantra, sa place est ici et nulle part d’autre. Dès lors, on comprend la psychologie et les failles de ce personnage qui restera fidèle à sa vision du monde et surtout à son humanisme. Car d'humanisme, il en est clairement question dans ce premier essai télévisuel. On peut même affirmer sans se mouiller que Mann cherche à définir et à travailler cette notion d'humanisme en la mettant à l’épreuve tout au long de sa carrière.


Tout héros Mannien a des objectifs qui permet d'assurer sa survie dans l'environnement où il évolue. Dans Thief, James Caan souhaite réintégrer la société et fonder une famille quel que soit le prix à payer. Et ce, même s'il devra reprendre son ancienne vie de perceur de coffres. Ces objectifs de vie sont les promesses d'un ailleurs généralement représenté au travers de photographies ou d'images mentales comme c'est le cas dans Collateral où Jamie Foxx n'a de cesse de contempler la carte postale accrochée au pare soleil de sa voiture. Cet Eldorado est un fantasme pour le héros Mannien qui lui permet de supporter sa condition et le déterminisme social. Les exemples comme ceci sont légions dans la trop courte filmographie de Mann. Ce qui démontre une foi forcenée en la résilience de l'être humain, en sa capacité à s'émanciper du monde et de ses barrières économiques, culturelles et sociales.


Tel un acte de foi dans lequel il faut se perdre et se retrouver, le héros Mannien n'aura comme seul échappatoire ses représentations d'un monde rêvé et forcément illusoire face à la réalité.
Comme un homme libre offre néanmoins une variation ou plutôt un point de vue différent du concept d'humanisme tel qu'il est généralement incarné chez Mann. Chacun de ses personnages souhaite atteindre cet ailleurs en améliorant leurs vies et celles de leurs entourages. Dans Heat, c'est le cas de Robert De Niro et sa promesse d’une nouvelle vie avec une nouvelle compagne ou encore Daniel Day Lewis qui tente vaille que vaille de protéger sa famille dans le dernier des Mohicans. Là où The Jericho Mile diffère, c'est la propension à laquelle le héros arrive à fédérer malgré lui toute la communauté pénitentiaire derrière son objectif de qualification pour les jeux olympiques. Que ce soit les Latinos, les Afro-américains et même les Néo-Nazis, ils ne font qu'un avec Murphy. En témoigne cette scène bouleversante de la cantine ou presque tous les détenus lui offriront à manger afin qu’il prenne des forces pour la course. Séquence tout en retenue qui aurait pu être une bondieuserie chez un autre metteur en scène mais qui émeut ici par sa simplicité.
Cette naïveté dans la description de l’univers carcéral tranche avec le ton réaliste voire documentaire de certaines séquences. On peut remarquer que cette optimisme, tout éphémère soit-il, est assez rare dans la carrière du réalisateur et ne sera plus convoqué à l’avenir dans son travail.


A ne pas en douter, ce Jericho Mile, sous ses atours de téléfilm est un puissant réquisitoire pour la liberté et l’affranchissement des cellules normatives de nos sociétés. Il représente certainement le point de départ d’une œuvre qui sera jalonnée par la destruction de toutes formes d’oppressions qui iraient à l’encontre de la réalisation des individus.

niroux_houblon
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le 31 mars 2020

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