Du conflit, du conflit et encore du conflit : c'est un conseil que donnerait tout bon scénariste à son élève. Prendre une poignée de personnages, les laisser ensemble sur quelques pages et voir ce qui se passe. Sauf que "quelques pages", Desplechin, il connaît pas. Sur le plateau, son script devait peser plus lourd que les caméras. Il le sait : la famille est un champ de bataille que le cinéma français connaît bien. Pas du genre à survoler les affrontements, Desplechin se porte toujours volontaire pour aller en première ligne. Prendre son sujet avec des pincettes est chose inenvisageable pour lui. Comment je me suis disputé...(ma vie sexuelle) ne déroge pas à la règle : en contant l'histoire d'un prof de fac désabusé qui galère à boucler sa thèse, Desplechin avait déjà de quoi peindre un de ces portraits proches du réel dont notre cinéma national se gave à longueur d'années.


Sauf que le bonhomme, une fois armé d'un stylo et d'une caméra, se transforme en crise de boulimie ambulante. Ses personnages, il les démultiplie, les entrecroise, les mélange dans une course effrénée. Ses situations, il les fait passer de la tension à la déconne, du bon mot qui claque au monologue compulsif. Ses images, il les veut sans artifices mais toujours blindées d'une énergie folle, parfois jusqu'à verser dans un onirisme qu'une poignée de dialogues tentera vainement de rationaliser. Multipliant les joutes verbales en plans-séquences, il secoue jusqu'à épuisement son microcosme déglingué : Mathieu Amalric en prof au bout du rouleau, Emmanuelle Devos en femme idéale mais constamment rejetée, Denis Podalydès en amoureux/angoissé à bout de souffle, Jeanne Balibar en manipulatrice au charme glaçant.... Un chassé-croisé de névroses que des dialogues exceptionnels traduisent avec humour et sensibilité.


Du grand art soutenu par une distribution cinq étoiles qui ne vire jamais au défilé de stars. Chaque personnage du film nourrit l'autre, lui redonne espoir, le blesse, le fout en l'air... Les dialogues débordent de toutes parts, commentant parfois jusqu'à l'overdose les tourments intérieurs des protagonistes. Comment je me suis disputé..(ma vie sexuelle) est un film écrit. Trop écrit. Beaucoup trop écrit, même. Mais c'est bien cette maîtrise dans la surabondance qui le rend aussi vif et spontané, passant dès qu'il le souhaite d'une temporalité à l'autre, armé d'un sens de l'ironie qui se fait toujours entendre au bon moment. Sur un canevas propice à un traitement pépère (la famille et ses travers), Desplechin embraye sur un déluge ininterrompu de séquences irrésistibles, cathartiques et hautement jouissives.


Ah, j'oubliais : ça dure 2h52 en tout. Pourtant, vu le rythme du film, on se dit que Desplechin aurait pu en tenir le double sans s'essouffler. Il a sûrement fallu un boulot monstre sur la table de montage pour en arriver à un tel résultat mais les efforts sont plus que payants. Pour parler simplement, on appelle ça une petite tuerie.

Fritz_the_Cat
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le 6 août 2013

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Fritz_the_Cat

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