Pourquoi ce film a hélas été trop vite oublié? Doit-il rougir de la comparaison avec le meilleur de la Nouvelle Vague, comme Les 400 coups (très inspiré de Aniki Bobo du jeune Manuel de Oliveira) ou Pierrot le Fou? Qu'attendent les critiques pour lui rendre les louages qu'il mérite? Que ce soit par le mélange très maîtrisé des genres, par l'excellente qualité de narrateur ou surtout par la mise en scène époustouflante, Costa-Gavras signe un premier film stupéfiant, d'une considérable originalité, qu'il faut absolument voir - si ce n'est déjà fait.
Entre film noir, pointes d'humour à la française et scènes d'une grande sensualité, Costa-Gavras réussit à créer un film cohérent quoique varié, empruntant différentes pistes pour aboutir à une unité. En effet, l'enquête policière cherchant à élucider les disparitions mystérieuses succède à des plans où se glisse parmi les plis et replis de jupes le désir charnel; par ailleurs, la gravité de flics affairés et nerveux est atténuée par leur gouaille fertile souvent très drôle.
L'art du dialogue est finement travaillé, principalement au commissariat, donnant lieu à des scènes comiques servant de catharsis à des personnages côtoyant la mort au quotidien. Certaines répliques cinglantes n'ont d'ailleurs rien à envier à l'immense talent de notre cher Audiard national, telles que: "mon fils est un p'tit con, mais qu'est-ce que vous voulez? Y a les sentiments " ou encore: "mes parents avaient des idées bizarres: ils se sont tués en tandem il y a 10 ans". A replacer dans son contexte, bien sûr.
Cela participe à une écriture très travaillée, l'adaptation de Japrisot par Costa-Gavras se révélant sans faute. On signalera aussi l'apport pour la psychologisation des personnages des monologues intérieurs, de même que leur touche éminemment littéraire que ne renierait pas la Nouvelle-Vague.
Puis, il faut reconnaître la capacité du jeune cinéaste à créer d'emblée une grammaire qui lui est propre grâce à un récit cohérent que des transitions très soignées, souvent remarquables d'ingéniosité peaufinent.
Enfin, ce qui, avouons-le, nous a le plus plu dans Compartiment Tueurs, c'est sans aucun doute la qualité époustouflante du noir et blanc et des plans, riches d'une recherche technique et formelle innovante, osée, que des cinéastes plus contemporains comme Steven Soderbergh, reconnus pour la même éthique visuelle, ont dû fortement apprécier. Tous les citer ici est bien sûr impossible mais nous pensons par exemple aux gros plans sur les frous-frous des jupes, avec les jambes qui se tordent, ou aussi dans le train (pourtant espace si étriqué) aux jeux de miroir ou à ce magnifique plan en contre-plongée du contrôleur devant les toilettes avec Bambi (Catherine Allegret) en face et Daniel (Jacques Perrin) dans le coin supérieur de la porte; aussi l'audace d'un jeune cinéaste sachant déjà de quoi il parle (sa collaboration en tant qu'assistant avec les plus grands de l'époque comme Henri Verneuil, Jacques Demy et René Clément l'ayant aidé), se constate dans le choix de certains travellings, comme celui, avant, débouchant sur l’œil de bœuf ou encore avec les courses-poursuites finales visuellement intéressantes.
Un grand film donc, de la trempe des chefs-d’œuvre.