Avertissement: Cette lettre ouverte pourrait trahir quelques points sensibles du film de James Wan.


James, tu mérites le respect. Après avoir ravagé des flammes du torture-porn le cinéma d'épouvante pendant une demi-décennie d'un simple pastiche de Se7en, tu as quand même réussi à renverser la balance et à lancer tout l'occident sur les rails du ghost ride avec ce coup-ci... Un pastiche de Poltergeist. Je veux dire, juste, respect James. C'est grâce à toi, mine de rien, qu'on traverse en même pas dix ans tous les états préconçus de l'industrie horrifique. Un manque à ton palmarès, néanmoins: le film d'exorcisme. Je veux dire, Le Dernier Exorcisme, l'Exorcisme d'Emily Rose, Possédée... Toute une mouvance te glissant entre les doigts, autant de lingots fuyant au loin dans les caves fantasmées de cinéastes plus avisés. Oh James! Je pensais t'avoir perdu.


Puis il y a eu Conjuring. L'histoire des Warren. Les Warren quoi. Des gens comme toi, qui illuminent la plèbe de leur hauteur spirituelle, des gens qui ont leur entrée au royaume des morts. Peu importe que les fameux dossiers Warren aient été démontés il y a trois décennies; tu sais mieux que tout le monde, et je te soutiens James, qu'il faut avoir le culot de ses ambitions. C'est pour ça le "Inspiré de faits réels" sur l'affiche? Je ne te cache pas que c'est ça qui m'a mis sur la piste de l'exorcisme, et que j'étais un brin sceptique, juste un brin, à l'idée de te savoir en pleine incursion dans le domaine, en terrain quasi-inconnu. D'autant que des dossiers Warren y'en a plein, leur registre c'est comme l'état civil en plein mois d'août. D'ailleurs j'entends même qu'une suite à ton Conjuring est en chantier. Mais je n'aurais jamais dû douter, parce que tu as tant de ressource, James, plus qu'il n'en faut; à revendre même!


Et puis, tu as finalement les moyens que tu mérites. Enfin, 20 millions de dollars, c'est deux fois moins que pour le Marie-Antoinette de Sofia Coppola, mais c'est presque dix fois plus que pour Insidious. De quoi nous torcher un film sans faux raccords, avec une photo correcte, et cadré par autre chose qu'un malade de Parkinson, hein, James? Bon, sur ce point, tu m'as entendu. J'ai pas encore balancé ton film en slow mo pour savoir si tout colle et si, comme dans Insidious, tes acteurs ne changent pas miraculeusement de tenue d'un plan à l'autre; mais le reste, sans être transcendant, donne dans le correct. Ton chef op a enfin compris que les couleurs, ça existe, et qu'une heure trente de pellicule en niveaux de gris, c'est bien, mais seulement quand c'est voulu. Big up à lui. Bon, après, tu fais des zooms, des plans inversés et des travellings composés très "atypiques" si tu vois ce que je veux dire (wink), mais comme ton montage est pas complètement épileptique et que tu torches le tout avec quelques plans séquences bien sentis et des bruitages qui font boum comme si le RER B passait au milieu du bayou, et bien, je dois l'admettre, c'est plutôt honnête.


Par contre, j'ai plein d'interrogations concernant la mécanique et le fond de ton film, James. T'as des bonnes idées au début je trouve, tu t'amuses à décrédibiliser le principe du jump-scare dans une scène de boîte à musique de l'au-delà, et ça j'ai trouvé ça cool. Y'a des parties de cache-cap (oui, de cache-clap) plutôt bien senties, des apparitions qui n'apparaissent pas et qui fonctionnent plutôt bien au demeurant, des somnambules et une baraque un peu trop décrépie pour être honnête, et qui fait un peu décor en mousse de chez Disney, mais comme c'est filmé à moitié dans le noir c'est pas grave, on s'en fiche un peu. Par contre y'a des petits trucs qui me dérangent dans ton scénar', mais ça vient peut-être des dossiers Warren, moi je sais pas, je bats en retraite. Genre, la mère qui se réveille avec des bleus bien maousses sur tout le corps, mais vraiment tout le corps, et qui se fait juste traiter pour une carence en fer? La cave intégralement murée qui n'inquiète personne? Les Warren qui se félicitent que l'entité n'ait agressée personne alors que dans la scène précédente la vieille lépreuse elle essayait de bouffer la fille aînée? Et puis y'a ce mec un peu niais qui voit une soubrette au regard vitreux avec les avants-bras ouverts des poignets jusqu'aux coudes et qui lui dit "Hey" avant de partir à ses trousses? Il veut son 06 ou bien? Je veux dire, c'est rien James, mais ça te sort d'un film, l'air de rien, un ange passe et pfiout, t'es à l'extérieure de la salle, et ça, ça serait dommage que ça se produise quoi.


Bon, je te donne un point pour ton casting, aussi. Patrick Wilson j'y ai cru à l'époque de Little Children, maintenant j'ai un peu lâché l'affaire, en plus il prend de la bedaine ça casse le mythe, le rêve il est fini. Par contre Vera Farmiga, c'est bonus bonne actrice, et elle fait moins anorexique que Rose Byrne dans Insidious. Bon, elle a du mal des fois avec les didascalies du genre "regarde la branche qui grince avec un air mêlé de terreur et de souffrance intestinale", et puis c'est bizarre qu'elle espionne la vie spirituelle des gens comme ça, sous forme de vignettes Super 8, mais globalement, elle est l'atout de ton film. Après, malgré tout, je trouve que ça s’essouffle un peu beaucoup dans la deuxième partie. Tu sombres un peu dans le jump-scare facile, justement, alors que vingt minutes avant tu faisais trop le mec "tu vois, moi, je suis un véritable artisan de cinéma qui fait les choses bien", et puis on a droit à un vol de pucelle tirée par les cheveux au travers de la salle à manger, c'est vu-et-revu. D'ailleurs en parlant de réchauffé, la scène avec les oiseaux, c'est quoi le but? C'est des pigeons en plus James, essaie de faire les choses bien quand tu copies du Hitchcock quoi. Question d'honneur.


Mais je m'égare. Tu trousses la fin de ton truc vite fait bien fait avec la fameuse scène d'exorciste tant redoutée, et je vais pas mentir, je sais pas si tu as fait exprès de donner dans le grand-guignol mais j'ai bien ri. Je te laisse le bénéfice du doute parce que j'ai pas mal craché sur toi et ton cinéma pour en arriver ici. Par contre j'ai des centaines d'interrogations en suspens James. C'est quoi cette propagande religieuse? Genre "les catholiques viennent en aide aux pauvres pas baptisés qui ont quand même des crucifix partout dans la baraque", ou "le bien existe et le mal aussi, il faut choisir de quel côté on se tient"? C'est un cin d’œil à Star Wars? J'ai pas compris. Et puis ce trip de justifier le carnage de Salem comme oeuvre de salubrité publique faut arrêter, surtout quand on fout "inspiré d'une histoire vraie" sur son affiche. Un peu de sérieux. Mais je m'emporte. Je sais pas, au final, si tu vois vraiment où je veux en venir James, mais grosso modo j'ai trouvé ton film assez banal dans la forme, carrément puant dans le fond et plagié dans la mécanique. C'est toujours mieux qu'Insidious qui prenait -1000 côté technique, mais c'est pas encore tout à fait ça. Peut-être qu'Insidious 2 me fera changer d'avis sur toi et tes films. Ou même Conjuring 2.


Mais j'y crois pas tellement. Bien à toi.

ClémentRL
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le 10 sept. 2013

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