Tu peux te foutre en l'air mais sans casser l'ambiance s'il te plaît ...

Nous vivons une époque formidable, une époque ou cols blancs et employés peuvent aller faire du chien de traineaux ensemble à Chamonix pour resserrer les liens incroyables d’une équipe en pleine émulation, une époque ou on pousse les salariés au maximum de leurs opportunités, à l’international car « nous sommes mobiles », une époque ou grâce a Skype on peut être au plus près de ceux qui nous dirigent malgré le décalage horaire, une époque ou nous sommes joignables 24h sur 24 et pas seulement en cas d’urgence. Si vous n’êtes pas convaincus, pas de panique, au-delà des conférences filmées des playboys du CAC, vous pouvez aussi frapper à la porte de votre DRH… à moins que ce ne soit elle qui se rappelle à votre bon souvenir. C’est pour cela qu’Emilie Tesson Hansen, l’héroïne de Corporate a été embauchée par son ancien mentor de fac, Stephane Froncard, pour rappeler aux salariés qu’ils « ont leur destin entre leurs mains », qu’ils peuvent quitter cette grande famille qu’est leur entreprise, sans s’en vouloir, qu’on peut même les y aider, voir leur forcer un peu la main s’ils ne sont pas assez clairvoyants pour comprendre que leur parcours professionnel ne s’inscrit plus dans leur entreprise.
Tout cela est très familial finalement, très bon enfant. Emilie Tesson Hansen aime d’ailleurs bien son job car, sans avoir eu besoin de passer par 10 ans de formation psy, voire d’écrire une thèse en philosophie, elle aide les gens à "penser par eux même". Tout s’effondre le jour ou un salarié, un peu récalcitrant se jette par la fenêtre… sur son lieu de travail…il était tellement culture d’entreprise, qu’il en a profité jusqu’au bout.
Bon, dans les grandes familles, en période de deuil, on se sert les coudes (comprendre : on met en place une communication de crise bien huilée) et dans un deuxième temps, on se dispute l’héritage… Emilie est bien placée, après tout c’est elle qui a choisi les fleurs. Et c’est elle aussi qui a suggéré au Board qu’il traversait des difficultés personnelles, un divorce… sans doute la raison de l’acte tragique, a moins… a moins que ce salarié exemplaire, celui si discret, qui ne payait pas de mine dans son bureau du fond, celui caché juste a cote de la photocopieuse que ses collègues n’osaient plus trop inviter à déjeuner tellement il était devenu silencieux, ce salarié qui malgré plusieurs demandes de mutations recevait toujours le même mail de refus, copier-coller, a quelques mois d’intervalles, n'ait pas suffisamment adhéré au patchwork corporate et… ai jeté l’éponge en se … jetant dans le vide. En guise de pot de départ, une inspectrice du travail qui vient enquêter a la demande du CHSCT et une sacrée mauvaise ambiance dans l’entreprise pour quelques temps.
Certains diront que ce premier film d’un jeune réalisateur prometteur caricature le monde de l’entreprise (voir notamment l’article de Capital à ce sujet – apparemment les DRH s’inquiètent des risques de perte de vocation des jeunes étudiants pour ce métier après avoir vu Corporate… c’est clairement là que se situe le nœud du problème, bravo les mecs !). Mais finalement, tout est vrai. Etre « Corporate », « adhérer à l’entreprise d’aujourhui », "promouvoir l’écoute active" … autant de formules volontairement cosmétiques qui permettent de faire passer des messages en douceur, et peut-être même de faire oublier ce qu‘ils veulent dire. C‘est vrai qu’il est plus simple de parler de « Plan ambition 2016 » plutôt que "d’objectif 10% de salaries a la porte d’ici la fin de l’année", que c’est mieux de proposer un poste en Chine à un salarié dont la mère est malade, plutôt que de le licencier pour perte de productivité…au moins là il comprendra de lui-même où est son intérêt (pour celui qui serait un peu lent : soit il l’emmène avec lui, soit il démissionne). Moralement, c’est un peu discutable, mais bon, on s’y fait. Après tout, on utilise tellement de termes anglo saxon, qu’il est également temps de se former au management a l’Anglo saxonne. D’ailleurs, Emilie a fait carrière a la City, elle aurait donc dû faire face… mais elle est finalement un peu plus récalcitrante que prévu. Etre un tueur, c’est sympa, tant que ça reste au sens figuré .


Vous l’aurez compris Corporate tape là ou ça fait mal et n’épargne personne et surtout pas son héroïne, dont les motivations, pour dénoncer les méthodes du Board visent avant tout et ouvertement à sauver sa peau. Après avoir placardisé les salariés, elle est à son tour mise à l’isolement ce qui lui permet peut être de distinguer des choses qu’elle ne voyait plus. Ce que montre finalement très bien Corporate, c’est que le discours d’entreprise fonctionne, qu’on finit par y croire, par y adhérer et qu’il faut… un suicide pour sortir de cette bulle factice de bonheur au travail. Non bosser 20h par jours n’épanouit pas tout le monde, non ce n’est pas commun de se faire offrir des fleurs par quelqu’un qu’on vient de licencier, oui le mari de notre héroïne peut avoir décidé de suivre sa femme car sa famille était plus importante que son boulot… ce qui, il y a encore quelque temps relevait encore du bon sens, devient aujourd’hui politiquement incorrect voire iconoclaste. Sans parler tout de suite de harcèlement moral ou tomber dans un cliché digne de Philippe Poutou, nous pourrions nous dire que ce premier film reflète une époque où plutôt que de se poser les bonnes questions, on invente des réponses standardisées pour éviter de faire des vagues. Comme le dit le mari d’Emilie, a quoi cela servirait quelle balance tout et paye pour les autres ? ça ne changera rien. Tout continuera mais elle par contre, elle peut dire adieu à ces 100 K par an. C’est vrai, Emilie est mise sur la touche, elle ne participera plus au prochain team building, elle n’est plus du tout Corporate… Exemple à suivre ? à méditer en tout cas.

C-L
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le 5 avr. 2017

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