Tout part de ce drame, qui survient en arrière-champ. Didier Dalmat, cadre dans le département financier d’une grande entreprise, se suicide. Tout l’open-space s’agite et s’émeut alors que les cadres tremblent. Un suicide sur lieu de travail, ça fait mauvais genre. Un suicide, cela signifie l’inspection du travail, l’enquête, la gestion des médias. Une cellule de crise est ouverte par Emilie Tesson-Hansen, la RH, qui a vu et parlé à Didier Dalmat quelques heures avant sa mort.
« Les personnages sont fictifs, mais les méthodes de management sont réelles » : le ton est lancé avant même les premières minutes du film, dans un message d’avertissement. Le monde du travail tel que le dépeint Nicolas Silhol transpire le cynisme et l’hypocrisie. Dans ce premier long-métrage, le jeune réalisateur s’attache à décrire les méthodes de management contemporain, les relations d’entreprise, comme faisant partie d’un monde à part, un monde froid et inhumain, aux règles étranges, au langage désincarné. Le suicide, cet acte humain, trop humain, vient faire l’effet d’une bombe dans cette communication d’entreprise bien calibrée. En un instant tout explose. Les masques, les certitudes.
Le réel rattrape Emilie. Cette fois, elle ne pourra pas s’en sortir avec la langue de bois. Abandonnée par ses supérieurs, livrée en pâture à l’inspection du travail, la parfaite petite RH se lance dans une vaste mission de sabotage. Vengeance ? Prise de conscience ? Ses motivations restent floues, et c’est tant mieux. Dans Corporate, pas de place pour le manichéisme. Emilie, magnifiquement incarnée par Céline Sallette, est à la fois une « salope » comme le dit son mari, mais aussi une victime. Tantôt bourreau qui joue le jeu de la direction et condamne l’avenir professionnel des salariés, tantôt femme perdue, vulnérable, qui écoute les bruits de la mer pour se rassurer.
Certains RH pourraient craindre que le film donne une vision négative de leur profession, il n’en est rien. Nicolas Silhol ne vise personne, seulement un système. Et tout le monde, de la secrétaire au grand patron (Lambert Wilson, convaincant), en est prisonnier. Corporate est un film à voir pour alerter les consciences et libérer la parole. En suivant le combat d'Emilie, Silhol choisit à la fin d'introduire une note d'espoir. Jamais démission n'aura été faite de manière plus triomphante.
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