Jeune trader geek surdoué, écrans avec des graphiques improbables, discussions économiques de comptoir ; le décor est posé, Cronenberg joue sur les représentations du monde de la finance, ce ne sera un pas «thriller économique». Tant mieux, je suis rassuré.

On vire alors très rapidement au tout allégorique, tout symbole, tout fétiche, par le biais d'un défilé de personnages improbables. Le chef de la sécurité et son complex qui analyse tout en permanence, comme le ferait un trader, petit sourire indécryptable à la bouche. La prêtresse théoricienne, qui ne comprend rien de son propre aveu, sorte de chef de l'église face au chef de l'empire. Sa femme inaccessible et aseptisée qui joue à cache-cache, jusque dans les dialogues tout en évitement. Cette allégorie était le point du roman qui a servi de base au film, représenter la finance par ses démons et ses monstres.

Mais les symboles s'accumulent, trop lourd, trop évidents, mais tellement nombreux qu'il faudrait un cerveau analytique surpuissant, comme celui d'un de ces traders surdoués, pour y démêler quoi que se soit. Et puis l'accumulation devient ridicule, les démonstration d'intelligence mathématiques sont risible, tout juste bonne à épater un collégien, les effets graphiques en remettent. On sent que Cronenberg nous mène en bateau (on l'entend presque rire sur les discussions autours du capitalisme à la sortie de la salle), il détourne petit à petit l'objet du livre, en oubliant peu à peu le discours sur la dématérialisation des flux monétaires, pour en revenir à son sujet prédilection.

Retour à la métamorphose donc, ou plutôt à l'obsession d'un corps encombrant, qui risque d'être défaillant à tout moment. «Les gens meurent le week-end». Seul lien à la réalité pourtant, et il éprouve le besoin de la retrouver, son corps l'attire hors de l'abstraction, mais il a été mutilé par ces «belles théories», cette plastique impeccable est en fait handicapée dans le monde des autres, même avec les cheveux coupés de travers. Renversement dans la dialectique de Cronenberg, on avait la symbolique du corps avec les tatouages des promesses de l'ombre par exemple, ici c'est le contraire, ce sont des symboles qui cherchent un corps.

Mais ce sera un échec permanent, tous les dialogues sont vains, les question incessantes sont la preuve de ce faux raccord permanent. Et en cela ils sont superbes, on n'avait jamais vu une telle mise en scène du discours chez Cronenberg. Pas du message contenu dans le discours, finalement la finance n'est qu'un artifice ici, mais de la façon de le présenter, la façon de traiter le discours abstrait, là où un film est contraint à un minimum de représentation matérielle, contrairement au livre.

On peut alors lui reprocher la perte du rythme et du suspens qu'il y avait dans le roman de DeLillo, la chute se dégonfle comme une baudruche du fait de sa longueur. Mais c'est la force du film je trouve, tout est poussif, tout est vain, la limousine n'avance pas plus que le personnage, ce film est clairement une épreuve.

Techniquement ce film est au top, des acteurs à la réal, et l'écriture surtout est particulièrement réussie, on découvre Pattinson aussi (car oui je ne suis jamais allé voir twilight... étonnant non ?), tout est carré. Après le fond peut laisser le marbre, on peut ne pas aimer le travail de Cronenberg, on peut ne pas avoir envier d'aller voir un film où l'on ne va clairement pas passer un «bon» moment et il y aura forcément des déçus qui attendaient un portrait acerbe de la finance. Mais le film est réussi.

Il faut y aller en connaissance de cause donc, mais ce serait dommage de se priver d'un si bon film.
Étienne_B
8
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le 27 mai 2012

Critique lue 308 fois

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Étienne_B

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