Voilà donc un nouveau Cronenberg que l’on attendait avec beaucoup d’impatience et de curiosité en apprenant qu’il allait être l’adaptation d’un roman de Don DeLillo, écrivain américain majeur, reconnu pour ces critiques acerbes et pertinentes de la société actuelle. Eh bien, au terme de la projection, une seule expression me vient à l’esprit… Qu’est-ce qu’il est fort ! À travers cette adaptation en forme de pari, Cronenberg produit une performance égale à celle du Festin nu où il s’était attaqué à William Burroughs, autre géant de la littérature américaine a priori très peu propice à une transposition cinématographique. Ce nouvel opus vient s’inscrire en contrepoint quant à la forme par rapport à son film précédent, A Dangerous Method, tout en conservant ses préoccupations essentielles. L’action se passe pour les trois-quarts dans une limousine où le héros fait à peu près tout ce qu’un être humain peut faire dans une journée : il y travaille, il y mange, il y dort, il y pisse, il y baise, il s’y fait même faire un check-up (avec toucher rectal s’il vous plaît !) chaque jour… Dans le rôle principal, Robert Pattinson est omniprésent avec une abnégation remarquable. Dans des rôles intermittents, on remarque Juliette Binoche, sobre et très juste, Mathieu Almaric, entarteur déjanté et surtout Paul Giamatti dans un personnage pathétique d’humanité à bout de course. La direction d’acteurs est à la hauteur du reste de l’œuvre de Cronenberg et c’est tout dire tant c’est un de ses points forts. Quant à sa réalisation, elle est impeccable, tant sur le fond que sur la forme. Le propos, d’une densité inimaginable, est celui, éternel chez l’auteur, de la description d’une humanité robotisée (informatisée) aux prises avec ses sens, encore désespérément présents. La pisse, le foutre, la tarte qui recouvre la figure d’Eric Packer dans toute la dernière demi-heure en sont autant de preuves… Le face à face final est magistral, sorte de manifeste cinématographique de Cronenberg exprimant la solitude rédhibitoire de l’être humain et ses efforts pour se survivre à lui même. Un chef d’œuvre de plus dans une œuvre majeure de l’histoire du cinéma.