On s'attendait, au vu de cette bande-annonce rythmée et saccadée, à un film quasi transcendant sans trop comprendre sur quoi il allait porter. Et elle annonçait bien la couleur : le film est très difficile à cerner, pour utiliser une expression anglicisante très en vogue, c'est un de ces films « What the fuck ? ». Cosmopolis avait un potentiel incroyable... L'esthétique est absolument splendide, faite de travellings et de plans séquences ultra maîtrisés, d'une photographie très nette et épurée, à la limite du jeu vidéo parfois, et d'un grand talent quand il s'agit de transmettre une ambiance futuro-apocalyptique. Au niveau des yeux, on est donc royalement servis. Les acteurs semblent tous avoir été lissés, et Robert Pattinson accroche bien la lumière. Mais très vite, on sent que quelque chose va nous empêcher de rentrer dans le film. Le taxi qui déambule à toute petite allure, les traits figés de notre Golden boy de héros... Cette esthétique si parfaite s'avère glaciale, mais surtout incroyablement déroutante. On est à la fois fasciné et dubitatif devant une stylisation aussi marquée. Le problème, c'est qu'on se focalise plus sur l'image que sur le reste. Les dialogues sont longs, ils sont très difficiles à suivre car ils tournent autour d'éléments que l'on ignore. Le pitch (en l'espace d'une journée, un trader réalise qu'il court vers sa perte et au lieu de lutter, il va s'y enfoncer progressivement dans un climat de révolte générale), presque Tarantinien, était intéressant et aurait pu donner lieu à des dialogues percutants, mais il n'arrive pas à nous tenir en haleine. Trop de mots de jargon, trop d'allusions que l'on ne saisit pas, beaucoup trop de longueurs... On décroche totalement et on finit par ne plus regarder que les images, laissant presque totalement de côté l'intrigue. La forme écrase littéralement le fond. Ce problème est accentué par une absence de musique très dérangeante. On s'attendait, au vu de la bande-annonce, à un film beaucoup plus sonore, et le silence y est en fait presque tout le temps de mise. Que ce soit lors des dialogues entre ce Golden boy et sa femme dans des lieux publics ou lors de ses entrevues en limousine avec une foule d'invités qui se succèdent, le bruit est toujours absent. Tous les fourmillements, toutes les agitations environnantes, tous les bruits de vie extérieure, sont éradiqués. Les rares scènes qui s'accompagnent de musique font alors office d'oasis dans le désert. C'est le cas par exemple de l'entrevue entre Eric et son ami d'enfance. C'est un des seuls passages où la forme et le fond s'accordent : on y suit la limousine rouler à côté du cadavre d'un homme dans un cercueil, érigé par la foule, sur fond de hip hop. Cette scène est hélas une des seules à être hallucinatoire dans le bon sens du terme : on est pris dans cette ambiance morbide et apocalyptique qui contraste avec l'étonnante chaleur de la conversation entre Pattinson et son invité noir. En définitive, la froideur et le désabusement du film ne convainquent pas. Les deux jeunes mariés, personnages les plus exécrables du film, nous sont présentés comme des machines parallèles, des gens qui vivent dans un monde totalement déconnecté -d'où le fait que l'on n'entend jamais les bruits autour d'eux- et ne savent pas comment penser en êtres humains. Cronenberg en joue dans les dialogues, particulièrement avec le personnage d'Elise Shifrin qui est en permanence en train de se demander comment elle devrait agir... Mais cette froideur ne passe pas, elle ne se transmet pas aux spectateurs. Le message blasé et la critique sociale sont relégués au second plan derrière cette stylisation envahissante. Cronenberg ne réussit pas à fustiger les élites de façon aussi efficace que ce qu'il aurait pu le faire. Pas assez de rythme, des dialogues trop longs et inaccessibles, une musique trop absente, Cosmopolis est hélas un film ambitieux mais inabouti, qui mérite que l'on s'en tienne à sa -virtuose- bande-annonce.