Ce documentaire, en même temps qu'il suit le parcours judiciaire et carcéral de Cyntoia Brown sur une durée de quinze ans (!), est aussi un réquisitoire en creux du système judiciaire états-unien.


Cyntoia est âgée de seize ans quand elle tue un homme, Johnny Allen, qui l'avait emmenée chez lui pour avoir des relations sexuelles tarifées.


Ci-après, le résumé du processus judiciaire qui a accompagné l'accusée pendant de longues années et les questions qu'il suscite, même si ces dernières sont rarement abordées frontalement dans le documentaire (spoils donc !).


Après son arrestation, la jeune femme s'est vu signifier ses droits. Or le reportage nous apprend qu'une immense majorité des mineurs ne comprend pas les répercussions que peuvent avoir sur leur futur procès la phrase "tout ce que vous direz pourra être retenu contre vous". Cyntoia accepte donc de parler seule en face de deux policiers qui, en outre, lui ont promis de l'aider si elle consentait à parler. Une question brûle les lèvres : pourquoi ne pas imposer la présence d'un avocat lors d'affaires criminelles impliquant un mineur (comme c'est le cas en France) ?


Lors d'une première audience, Cyntoia comparaît pour déterminer si elle sera jugée par un tribunal pour mineur, ou, exception courante dans les affaires de crime de sang, si c'est une cour d'assises traditionnelle qui examinera son dossier. L'affaire est rondement menée : elle sera jugée comme une adulte. Deuxième question en creux : juger une jeune fille de 16 ans comme une adulte est-il compatible avec l'idée qu'une démocratie se fait de la justice ?


Deux ans plus tard, lors de son procès en première instance, ses avocats, visiblement dépassés, plaident la légitime défense et demandent une relaxe pure et simple. Cyntoia aurait eu peur de Johnny Allen, l'aurait tué pour sauver sa vie et se serait enfuie avec son portefeuille et son pick-up en paniquant. Hélas, les faits son têtus : l'homme a été tué d'une balle dans la nuque et les doigts de ses mains sont entrelacés ce qui exclut, d'après les médecins légistes, qu'il ait été en train de saisir une arme au moment où la jeune femme lui a tiré dessus. L'accusation déroule les preuves et convainc le jury : Cyntoia est condamnée pour meurtre avec préméditation ce qui implique dans le Tennessee une peine incompressible de 51 ans. Deuxième question sous-jacente : Cyntoia a-t-elle été bien défendue ? Avait-elle les moyens financiers de s'assurer les services d'un avocat réellement compétent ?


Il faut attendre plusieurs années pour que le dossier de Cyntoia soit porté devant un juge qui doit statuer sur la pertinence de renvoyer l'affaire en appel. On apprend à cette occasion qu'aux Etats-unis, la cour d'appel est un luxe que seuls quelques privilégiés peuvent obtenir. Sur 100 requêtes de pourvoi en appel seuls 65 dossiers sont examinés par un juge, 35 sont purement et simplement écartés (le reportage ne dit pas comment). Sur ces 65 dossiers ayant bénéficié d'une audience, 81% sont retoqués et ne donneront donc jamais lieu à un second procès. Les nouveaux avocats de Cyntoia plaident cette fois ci le syndrome alcoolique du foetus. La mère biologique de la jeune fille (cette dernière a été adoptée à l'âge de deux ans) a témoigné qu'elle buvait beaucoup d'alcool lors de sa grossesse ce qui aurait entraîné, selon un expert, de graves troubles psychiatriques. En dépit de cette nouvelle stratégie, plus crédible que la première, le juge refuse de transmettre le dossier en cour d'appel. Interrogation en filigrane : est-il conforme à la justice qu'un seul juge décide lors d'une audience de quelques minutes du sort d'un condamné, en l'occurrence une condamnée à perpétuité, qui doit passer au minimum 51 ans sous les verrous ?


Après plus de 14 ans d'incarcération, les avocats de Cyntoia tentent le dernier recours : une demande de grâce auprès du gouverneur. Cette fois, les éléments semblent aller en faveur de celle qui est devenue une femme. D'une part, les réseaux sociaux se sont emparés de l'histoire et de nombreuses voix s'élèvent, parmi lesquelles certaines très connues (Rihanna par exemple), pour demander la clémence dans cette affaire sordide où Cyntoia est maintenant reconnue comme esclave sexuelle. D'autre part, le gouverneur du Tennessee, arrive en fin de second mandat et peux prendre le risque de froisser ses électeurs puisqu'il lui est impossible de se présenter pour une troisième charge. Lors de l'audience devant la commission qui doit présenter ses recommandations au gouverneur, les représentants de Cyntoia plaident la réhabilitation, s'appuyant notamment sur le fait que la jeune femme a obtenu en détention des diplômes universitaires. Par ailleurs, une femme, présentée comme la porte-parole de la famille de Johnny Allen émet une opinion plutôt nuancée (on sent que le temps est passé) et n'apparaît pas hostile à un geste de mansuétude envers Cyntoia. Suite à ces comparutions, la commission est divisée et rendra donc au gouverneur un avis partagé. Après huit mois d'attente, le verdict tombe enfin : la peine de la jeune femme est commuée en quinze années de réclusion. Il ne reste donc à Cyntoia que quelques mois de détention à effectuer.


Le dernier plan du reportage montre Madame Brown libre, marchant sur une route.


Un reportage intéressant dans lequel les réalisateurs ont fait preuve d'endurance puisqu'ils ont tenu la caméra pendant plus de quinze ans pour obtenir ce documentaire. Toutefois, d'après ce qui est dit dans le film, une version serait sortie aux états-unis après le premier procès. Bizarrement, Cyntoia n'est plus filmée dans sa vie privée (c'est à dire en prison) après la requête rejetée en appel. A partir de ce moment on ne voit d'elle que les images publiques lors des audiences ainsi que la dernière séquence.

robindestoits
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le 15 juin 2021

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