Au même titre que Persona, Cris et Chuchotements aurait pu débuter par l’image subliminale d’un phallus seyant si bien à ses actrices sublimées à un point que seul Bergman savait atteindre car jamais au cinéma il ne m’a été donné à voir avec une telle force l’expression de rapports charnels sans même qu’ils ne soient sexuels.


Il est ici pleinement question des corps et du sens qui leur est lié, le toucher, qui s’impose alors à l’esprit comme étant le plus beau d’entre tous, tout autant que le plus puissant vecteur d’émotions, et cela aurait été impossible sans ces interprétations formidables que nous offre ce quatuor de muses où ma préférence va à la sublime Liv Ullmann dont je suis certainement un peu tombé amoureux.


Au même titre que ce long-métrage, ces quatre femmes apportent chacune à leur manière une performance absolument bouleversante tant elles semblent habitées par la douleur et le désespoir de leurs personnages, figures féminines confrontées de différentes façons au voyage vers l’au-delà.


Ce périple traumatisant permettra à la formidable Harriet Andersson d’exprimer magistralement ce que peut livrer la fin d’un être dans son rapport à la souffrance mais également dans sa vision de ce qu’après cette vie il adviendra, la scène de la prière prononcée par le pasteur étant de ce point de vue particulièrement poignante, s’appesantissant sur les larmes d’un homme pour une femme dont la foi était ce qu’elle avait de plus puissant.


Ce film mettra aussi en scène la complexité du rapport que peuvent entretenir les deux autres sœurs Karin et Maria, la dernière frivole et amoureuse du médecin de sa sœur au détriment de son mari et l’autre, au contraire, renfermée, maladroite et méprisée par son époux. C’est entre ces deux femmes que le rapport charnel sera particulièrement prégnant, le personnage d’Ingrid Thulin ne voulant même pas des caresses de sa sœur désespérée.


Cependant, ce rapport devient encore plus puissant dès lors qu’il s’agit de traiter la mourante. Anna, servante effacée, apparaissant plus que jamais comme une figure maternelle lorsque de son sein elle fait un coussin pour la pauvre Agnes qui inspire alors nécessairement de la pitié.


Compassion qui cependant ne touche pas au même degré les deux sœurs en partie dégoutées par cet être en pleine décrépitude alors qu’elles-mêmes sont depuis longtemps moralement décomposées - que ce soit pour la rousse infidèle ou pour la brune portant à ses lèvres le sang fruit de sa mutilation.


Un sang tout à fait caractéristique de cette œuvre marquée par le rouge essence de notre corps que Bergman se représentait également comme le sein des âmes, chose que tout au long de sa filmographie il a tenté d’explorer.


Un rouge omniprésent et cela jusqu’aux fondus menant le plus souvent à des visages à demi plongés dans l’obscurité pour exprimer subtilement la part d’ombre qui réside dans le passé de chacune de ces femmes que la vie n’a pas épargnées.


De ce film, enfin, on peut retirer la marque de sa lenteur à la fois caractéristique du style du plus éminent réalisateur suédois mais également expression formelle la plus pure de la lente agonie qui au bout de douze ans aura enfin mené à taire ces cris et chuchotements...


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MonsieurBain
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le 22 janv. 2017

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MonsieurBain

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