Vous ne regarderez plus jamais le motard des Village People de la même façon

Un film coup de poing qui mettra un frein à la carrière de Friedkin, après les encensés « French Connection » et « L’exorciste », ainsi qu’à celle d’Al Pacino, qui par la suite, le reniera.
Le moins que l’on puisse dire c’est que « Cruising » est une expérience marquante et hypnotisante, on ne lâche pas l’écran des yeux ne serait-ce que trois secondes et l’on se pose pas mal de questions une fois le film terminé.

Je vais revenir dès le départ sur la polémique ayant entouré le tournage et la sortie du film en 1980, à savoir que ce serait un long-métrage homophobe ou, au moins, renvoyant une image négative de la communauté gay. Alors pour moi, objectivement, ce n’est pas le cas, et dès le départ, lorsque le flic incarné par Pacino est informé de sa mission, on le prévient qu’il n’aura pas à infiltrer le milieu gay habituel, mais celui du SM, glauque et pervers. D’ailleurs je pense que cette précision, qui n’a aucun intérêt scénaristique, a dû être placée là pour éviter justement d’éventuelles critiques ou amalgames… en vain.

Donc, soyez prévenus, ici c’est glauque, sale, voir dérangeant. En France, on a ajouté au titre « la chasse » mais je trouve que « la plongée » correspondrait encore mieux tant l’on suit la plongée en eaux très troublées de Pacino qui finira par être, lui, troublant. Car grâce au talent de Friedkin, sa réalisation, ses petites perches tendues ici et là pour peu que l’on y prête attention (cette fameuse petite ritournelle) et le jeu, plus sensible voir gêné que d’habitude, de l’acteur principal, on finit par douter, un peu, beaucoup, et à nous sentir nous aussi plongés dans un trouble jeu.

Friedkin pose habilement la question suivante : à trop s’infiltrer dans un certain milieu, ne finit-on pas par s’y fondre, en reprendre les codes et devenir comme ceux que jusqu’ici l’on chassait ? Le trouble de ce policier vient-il de sa mission, ou, était-il présent, inconsciemment, déjà bien avant toute cette affaire ? Le final, très ouvert, nous laisse répondre (ou pas) nous-même à ces questions, et, dans ce genre de film, je trouve que c’est surement la meilleure façon de conclure.

Le réalisateur, comme à son habitude livre une œuvre soignée, tant au niveau des lumières, des cadrages et la bande son, très rock et sombre, poisseuse, colle parfaitement à l’univers malsain qui est ici décrit. Le casting fonctionne également, Pacino en tête, il est vraiment habité tout au long du film, son interprétation, moins "virile" si j'ose dire, qu'à l'habitude, fait que l'on croit vraiment voir la personnalité du personnage se fissurer, se perdre au fur et à mesure de son infiltration dans ce monde ténébreux.

Une fois de plus, comme dans Bug par exemple, William Friedkin assume son œuvre jusqu’au bout sans faire de concessions. Une œuvre qui mériterait d’être plus reconnue. Reste à espérer que certains, séduit par son tout récent Killer Joe, auront la curiosité de se pencher sur cette petite perle de noirceur qui mérite de sortir de l’ombre.
Pravda
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le 8 févr. 2013

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