Les Chiens de paille rencontrent "L'île noire"
Un couple de jeunes mariés, composés d'une jeune femme pleine de vie, Teresa (Dorléac) et d'un érudit bobo peu viril (Pleasance) vivent sur la presqu'ile de Lindisfarne, où vécut Saint Cuthbert. Leur retraite est troublée par l'arrivée de deux gangsters après un casse raté : une grosse brute, Dickie, qui a pris une balle dans le bras, et le cerveau, Albie, qui décède assez vite d'une balle dans le buffet. Dickie attend des nouvelles de ses complices, dont on comprend qu'ils vont le laisser tomber. Il devient un petit tyran face à un Georges de plus en plus recroquevillé. Les rapports se renversent quand des invités viennent à l'improviste et que Dickie doit devenir "James", le majordome. Les invités repartis après une dispute, Teresa embête Dickie qui la frappe. Pour se venger, elle manipule Georges, poussé à bout, pour qu'elle le tue. Il le fait. Un inivité qui avait oublié son fusil débarque à l'improviste et repart avec Teresa. Georges est tout seul.
Pas mal de trous dans le scénario :
- Pourquoi l'un des invités laisse-t-il son fusil en partant ?
- Pourquoi Teresa fait-elle une blague débile à son bourreau (lui allumer une feuille de papier tortillée entre les orteils) ?
- Comment des particuliers pourraient-ils vivre dans un site classé ?
- Pourquoi des gangsters, même aussi pourris, iraient-ils s'aventurer sur une presqu'ile dont il est évident qu'elle est isolée à marée haute ?
- Pourquoi le voisin venu à l'improviste ne dit-il rien face à ce nouveau majordome ?
Ces faiblesses montrent bien que si le postulat de départ est bien posé, le scénario se cherche un peu, et mise sur les trouvailles en cours de route. Du coup l'ensemble a un côté un peu "happening" qui laisse une impression un peu foutraque. Disons que si la réalisation est efficace et irréprochable, tout n'est pas merveilleusement fluide dans la narration.
Sinon, c'est un film qui forme une sorte de condensé du Polanski des débuts :
- Un noir et blanc très typé sixties, qui rappelle un peu "Carnival of souls". De même, l'imagerie du tourne-disque, de la beauté blonde aux cheveux longs et aux grands yeux, quelques notations sur l'émancipation de la femme ou d'une certaine liberté de moeurs transpirent les années 60.
- Un personnage féminin idéalisé mais inquiétant. L'image de la femme est toujours assez sombre chez Polanski. Séductrice, amorale, manipulatrice, c'est une femme fatale (cf quand elle essaie sa robe du soir). Probablement les origines polonaises qui jouent.
- Un lieu clos insolite, filmé sous toutes ses coutures, avec des va-et-vient et des décors qui évoluent pour refléter l'évolution psychologique des personnages (le vitrail de Saint Cuthbert détruit par une décharge de fusil). Les extérieurs sont fort beaux mais les grands espaces renforcent l'impression d'isolement.
- Des références tintinesques (l'île Noire, le gamin insupportable qui rappelle Abdallah, les personnages assez étriqués, le majordome, les révolvers dans la poche).
- Un goût prononcé pour les inserts, notation réaliste qui se marie assez bien avec une construction un peu cartoonesque.
Pour résumer, "Cul de sac" est intéressant mais assez typé sixties. C'est un film qui annonce beaucoup de thèmes de Polanski mais qui dans son ensemble n'est pas complètement maîtrisé. C'est aussi une comédie qui finit sur une note sombre : au fond, c'est l'histoire d'un homme qui fuit la société et qui voit son refuge détruit par les circonstances.