Représentation des guerres indiennes centrée sur une défense du personnage de Custer et datée de juste avant Le Soldat Bleu et Little Big Man (sortis tous deux en 1970), alors que "génocide indien" était déjà sur toutes les lèvres, Custer l'homme de l'ouest est un des films les plus étranges qui puissent se voir sur le sujet.


Manifestement pensé à l'origine pour une pure œuvre de propagande destiné à défendre la mémoire de Custer et plus généralement de la cavalerie américaine, son script, qui insiste lourdement sur de mauvaises actions des amérindiens présentées systématiquement en premier pour que celles de Custer n'apparaissent que comme des représailles, semble avoir été en partie détourné par un réalisateur dont l'intention devait être de produire une sorte de Starship Troopers avant l'heure. Siodmak (ou Shaw, voir plus loin) noircissant le trait de cette propagande de guerre pour mieux la faire apparaitre pour ce qu'elle est, et la ridiculiser au final en nous offrant en miroir dans une scène mémorable la représentation d'une comédie musicale pro-Custer et enrôlement dans l'armée américaine on ne peut plus caricaturale.


Mais seulement en partie, car le film demeure globalement hagiographique pour le général "mort en martyr" sans qu'on puisse trouver de second degré à ce niveau, et absolvant pour les militaires américains, présentés comme victimes au même titre que les indiens de la marche de l'histoire et des corrompus de Washington (avec des scènes où Custer, ce vrai ancêtre de l'extrême droite anti-fédérale américaine, évoque un Trump en plein discours "drain the swamp"), et des hommes exempts de tout racisme envers les amérindiens (là où leur représentation dans ce film par contre...) et qui ne cessent de se poser des problèmes moraux quant à leurs ordres ou exprimer de la compréhension pour leurs adversaires.
S'ajoute à ce coté "film partant dans tous les sens" une volonté de ne pas éliminer pour autant totalement le coté fou furieux de Custer, dont l'interprétation de Robert Shaw semble tenir tout à fait compte, mais de le faire apparaître comme une saine obstination visant à maintenir la discipline de ses troupes ou régler ses comptes avec sa hiérarchie. Ce qui par moments tourne à des scènes m'évoquant étrangement Brice de Nice tant Custer montre un talent certain pour la "casse" de ses subordonnés, de son supérieur, d'un déserteur ou d'un ambassadeur indien (qui ont en commun d'être laissés sans voix par les répliques ou monologues cinglants du général).
Et pour renforcer encore cette impression de schizophrénie générale, une réalisation à deux têtes et écriture à trois, Robert Siodmak, vieillissant (c'était son avant dernier film), ayant à en croire Wikipedia laissé Robert Shaw diriger lui même la moitié des scènes (dont toutes les batailles et une mémorable scène d'entrainement) dans un style très différent, et réécrire une partie du script (comme l'écrit un co-scénariste : "The original brief was to turn out a typical Western sainted hero martyr script, which Gordon and I duly delivered. But Robert Shaw figured he would make it over to suit himself. Which he did. He turned Custer into a sadist of Shakespearean depth.").
Selon la même source on peut aussi créditer Shaw pour un discours à tonalité pro-indiens tenu par Custer vers la fin du film, mais qui est rendu complètement paradoxal par son interprétation et leur représentation dans le reste du film (ou était ce une volonté de parodier La Charge Fantastique qui fait de Custer un quasi indianophile ?).
Quant à Siodmak, je le soupçonnerais d'avoir en plus voulu faire de ce presque dernier film (devenu une production indépendante après que le script ait été refusé par la Fox) un testament, y glissant un coté évocation du bon vieux temps où les guerres (et le cinéma) étaient des affaires d'hommes (de réalisateurs ?) plutôt que de machines (hollywoodiennes ?), avec une multiplication de discours sur la cruelle marche du temps, et la fin de l'ère des guerriers remplacée par celle des chiffres (en plus de n'avoir pas été loin de réaliser Starship Troopers avant l'heure, il n'aura pas été loin aussi de faire de ce Custer le Dernier Samouraï).


A l'arrivée difficile de noter l'OFNI qui résulte de ces intentions contradictoires tant il donne des impressions bizarres, le film semblant hésiter entre plusieurs propos allant de la propagande de guerre à sa dénonciation en passant par un film nostalgique sur le bon vieux temps où on tuait les gens à coup de sabre plutôt que de mitrailleuse, sans en pousser un seul au bout, et en alternant scènes purement irritantes (la quasi totalité de celles où apparaissent des amérindiens, typiquement filmés en contre plongée en train de prendre des airs impassibles ou de tuer des gens), vrais moments de bravoure au premier degré (c'est aussi un blockbuster d'action avec de grands moments spectaculaires), relativisation et contextualisation au Xème partant dans tous les sens, et moments de psychologie / grands discours si surjoués qu'ils frisent parfois le comique involontaire (qu'il s'agisse des scènes "Custer roi de la casse" ou des moments destinés à montrer la terrible souffrance morale des militaires ou le respect entre adversaires).


J'ai finalement opté pour 5/10 là où j'aurais pu mettre 6 à 8 en n'en retenant que certaines scènes, car indépendamment de ce coté œuvre schizophrène et à multiples degrés de lecture c'est surtout très longuet, avec beaucoup de superflu entre les moments marquants (si je devais revoir ce film je serais en avance rapide pour toutes les scènes où la femme de Custer ou son lieutenant alcoolique apparaissent, ainsi que pour les interminables marches des militaires - dont un moment dans le désert qui procurera un irrésistible sentiment de déjà vu à quiconque se souvient de Lawrence d'Arabie). Et puis parce qu'aller jusqu'à représenter longuement une attaque de ville et un massacre de civils (dont des femmes sans défense) par les Chéyennes un 4 juillet, pour faire apparaître le massacre de la Washita quelques scènes plus loin comme des représailles compréhensibles aux bons américains (où la seule squaw qu'on voit tuée est celle qui ramasse un fusil) est, même avec une vague critique de la propagande en sous-texte subtil, dur à digérer pour quiconque s'intéresse à la période (et plus encore pour l'adorateur de Little Big Man que je suis).

Antonio-Palumbof
5

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le 21 déc. 2017

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