Ayant sombré dans l'oubli après sa sortie en 1981, Cutter's Way se voit offrir une seconde chance avec cette ressortie en salle et c'est heureux au vu de l'agréable surprise qu'il constitue. Interprété par un trio d'acteurs formidables et prenant la forme d'un film noir sous un soleil de plomb, c'est avant tout une grande comédie dramatique sur la volonté de continuer à vivre et mener bataille.


Un soir, Richard Bones (interprété par Jeff Bridges) tombe en panne dans une ruelle et y abandonne sa voiture pour apprendre le lendemain que le cadavre d'une jeune femme à été retrouvé juste à côté. Il reconnaît le même jour, lors d'un défilé, le visage d'un homme qui quittait les lieux au même moment et découvre qu'il n'est autre que son patron, le puissant homme d'affaire J.J Cord. Suspectant celui-ci, son meilleur ami Alex Cutter (le trop rare John Heard), un vétéran du Vietnam estropié et devenu alcoolique voit dans l'opportunité de punir le magnat la possibilité d'un obscur triomphe, d'une revanche sur sa vie et l'histoire : il élabore un plan pour faire chanter Cord et s'en débarrasser, entrainant Bones et Mo, sa femme, dans un jeu dangereux.
Cette intrigue constitue la toile de fond de Cutter's way, réalisé par le méconnu Ivan Passer, grand ami de Milos Forman, et pose le film sur les rails du thriller ensoleillé comme les affectionnait beaucoup les années 80. S'en rapprochant par sa photographie et sa mise en scène épurée, il ne cesse pourtant de s'éloigner du genre pour explorer un terrain qui lui est propre, plus secret. Cette mise en scène sans fioritures justement, en ne se concentrant uniquement que sur les états-d'âmes et interactions de ses personnages rend grâce à l'excellent scénario de Jeffrey Alan Fiskin, donnant l'impression que le film n'existe que pour lui-même et pour ses protagonistes, à l'image de ces derniers qui ont une vie propre dans le film et ne s'offrent jamais entiers au spectateur. Rich, Alex et Mo forment un trio dysfonctionnel de jeunes gens brisés dont le seul point d'ancrage est cette amitié ambigüe mais néanmoins indéfectible dont on ne connaitra jamais vraiment l'origine. Ils ne sont jamais montrés au spectateur autrement que dans l'évidence de leur relation et l'on ne connait rien d'eux mais c'est cette part d'inconnu qui donne au film toute sa force en y distillant une sourde mélancolie.
Convaincant dans la complexité des rapports humains qu'il dépeint, il contient quelques très beaux échanges et scènes d'abandon.


Si le film déroute c'est également à cause de sa structure. On ne peut jamais anticiper la suite des évènements parce que celle-ci épouse la dynamique de ce trio, leurs errances, interrogations, leurs crises au moment où Cutter tente de les embarquer dans cette enquête sordide.
Car le film n'est pas tant un thriller qu'une comédie dramatique que son personnage tente désespérément de faire basculer dans l'action. Comédie d'abord parce que le film possède une grande liberté de ton et un sens aiguisé du dialogue mais aussi parce que le personnage de Cutter, pirate désabusé et saoul en permanence, réserve quelques moments franchement désopilants, comme lorsque soudainement en colère il vide son chargeur sur une peluche sous l'oeil impassible de ses compagnons et de la caméra. Dramatique car le film est avant tout l'histoire de loosers magnifiques qui tentent de coexister et de survivre à leurs blessures, chacun à leur façon. L'enquête sers de catalyseur au besoin qu'à Cutter de prendre sa revanche sur la vie dans ce qu'il voit comme une ultime tentative de jouer les héros et le film peut être vu comme le regard que portent ses deux amis sur cette tentative désespérée.
Après cette dernière scène magnifique et absurde dans laquelle Cutter monte un cheval blanc et prends d'assaut le château du bad guy, devenant le héros qu'il a toujours voulu être, le film se clôt brutalement dans le sang et le chaos, le cut final renvoyant au néant, et ce sans cérémonie, les personnages et le film lui-même en délivrant au passage une morale amère sur le genre humain. Court et condensé, Cutter's way passe et disparaît ainsi aussi brutalement qu'une balle de revolver.

C'est le genre de petits films surprenants que l'on aimerait voir sortir de l'oubli plus souvent.

OEHT
7
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le 17 juin 2014

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