Je m'attendais à un film de pirates épique, et j'ai eu mieux que ça. Réalisateur sous-estimé s'il en est, Alexander MacKendrick a eu le bon goût de s'écarter des canons d'un genre déjà pas mal surchargé pour nous offrir un conte initiatique en plein océan, à la dimension plus intimiste que spectaculaire. L'exaltation du grand large, largement reprise par les visuels de promotion du film, se ressent bel et bien, mais sous un jour nouveau et original par rapport à tout ce qui a pu se faire en termes de film de pirates.


"A high wind in Jamaica" nous place en effet la plupart du temps à hauteur de regard d'enfant. Une poignée de mioches se voit embarquée par mégarde sur un bateau corsaire, et c'est l'occasion pour eux de se frotter au monde des adultes. En l'occurrence des adultes un peu particuliers, du genre à se saoûler, à piller et à castagner au mépris de tout sens des responsabilités. De cette confrontation improbable, dangereuse et souvent cruelle, va pourtant naître une fascination mutuelle entre les gosses et les renégats, en particulier entre l'intrépide et débraillée Emily, et le capitaine Chavez, dont les accès de colère et l'apparente sauvagerie cachent une humanité désarmante.


C'est là que le film puise toute sa force, dans ces brefs instants de tendresse, dans sa capacité à nous surprendre régulièrement, que ce soit par la soudaineté avec laquelle les enfants sont confrontés à la mort (à deux moments clés) ou par la vive émotion que suscitent les sentiments troubles partagés par Emily et Chavez.


On aurait évidemment souhaité que cette relation soit plus étoffée. C'est que MacKendrick a énormément de choses à raconter, et que son film a pourtant fini charcuté par la Fox (réécrit à la hâte sur le plateau, puis amputé de 25 minutes). Cela se ressent fortement. On devine un récit follement ambitieux, désireux de donner une existence digne de ce nom à tous les personnages. S'il est impossible de savoir à quoi ressemblait le script originel, force est de constater que beaucoup de protagonistes semblent délaissés et privés de leur moment de gloire, et qu'il manque un supplément de densité psychologique pour expliquer tous les liens qui se tissent entre les différents personnages. Mal équilibré, le film laisse entrevoir un potentiel énorme mais pas totalement assouvi.


Il ne manquait donc pas grand chose pour faire de "A high wind in Jamaica" un chef d'oeuvre, mais par bonheur la Fox n'a pas suffisamment interféré pour que le film perde son âme. Le point de vue de MacKendrick capte à merveille ce qui fait l'enfance, ces moments d'insouciance qui alternent avec une certaine incertitude ou une incompréhension face aux agissements des adultes, cette innocence qui se fane peu à peu au contact de la violence, des pulsions sexuelles, de la mort... Ces moments aussi où l'on se moque avec désinvolture des travers des grands, comme ici la superstition à tout va.


Anthony Quinn et James Coburn jouent à fond dans le registre qui a fait leur succès, mais leur tandem fonctionne, et Quinn en particulier s'en tire comme un chef dans ce joli rôle, avec une prestation fiévreuse mais subtilement nuancée. Face à eux, la jeune Deborah Baxter n'a absolument pas à rougir dans l'une des performances d'enfants-acteurs parmi les plus abouties qui soient, à n'en pas douter.


Quoi qu'il en soit et malgré ce sentiment d'inachevé qui planera éternellement sur le film comme une malédiction, MacKendrick peut être fier de cette oeuvre profondément touchante et atypique.

Créée

le 1 oct. 2017

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magyalmar

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