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Après un retour en grande pompe en 2018 avec le très bon "BlacKKKlansman", Spike Lee nous revient avec un film une fois encore très engagé aux fortes résonances contemporaines. Connu pour son côté militant, parfois qualifié de manière un peu facile de "pro-black" voir même de vieux réac, le célèbre cinéaste afro-américain a toujours voulu faire savoir à travers ses oeuvres, non sans une certaine nuance, les tares dont peuvent être victimes les différentes minorités ethniques, en particulier la communauté noire.


Ici, avec "Da 5 Bloods", à travers le portrait de 4 amis afro-américains vétérans de la guerre du Viêt Nam de retour dans la jungle à la fois pour y retrouver le corps de leur chef d'unité mort au combat mais aussi pour mettre la main sur des lingots d'or enfouis, Spike Lee signe à la fois un film d'aventures au sens classique du terme (une chasse au trésor) inspiré du "Trésor de la Sierra Madre" (le classique de John Houston) en même qu'un pamphlet brûlant à l'encontre de l'administration Trump et, de manière plus générale, envers les mensonges de la politique américaine, ici symbolisé par le spectre du Viêt Nam.
Comme pour ses précédents films ("BlacKKKlansman" mais aussi "Do the right thing" ou "Jungle Fever"), Lee, tout en optant pour le point de vue de la communauté afro-américaine, se montre tout de même relativement nuancé dans son propos, ce qui a toujours fait la grande force de son cinéma. Tout en étant profondément engagé, le cinéaste ne cherche pas à cacher les défauts de ses personnages, à l'instar du personnage de Paul, superbement interprété par Delroy Lindo, le vétéran le plus traumatisé de la bande au point de ne jamais avoir su avancer dans la vie, allant même jusqu'à délaisser son propre fils qu'il n'hésite pas à humilier devant ses amis et se revendiquant ouvertement pro-Trump. Il est d'ailleurs à noter que les plus belles idées de mise en scène sont liés à ce personnage, dont le cinéaste filme les nombreux monologues face caméra façon documentaire, pour mieux souligner ses pertes de repères moraux et psychologiques.


Si les péripéties et les scènes d'actions sont de fait assez bancales, ce n'est, au final, pas vraiment cela qui importe le plus mais plutôt le message dont le film est porteur, au-delà de son aspect politique et social, sur le temps qui passe et aussi sur le fait que, bien que le passé soit derrière nous, on n'en a jamais vraiment terminé avec lui, propos que Spike Lee traduit visuellement à l'écran de manière subtile : le fait que, dans les flash-backs, les 4 vétérans n'aient pas été rajeunis et restent donc vieux traduit l'idée qu'ils sont resté au fond les mêmes hommes qu'ils étaient déjà à l'époque de la guerre du Viêt nam et que, bien que le temps soit passé, rien n'a changé au fond d'eux-même. Le recours aux images d'archive (celles de personnalités fortes comme Martin Luther King mais aussi de soldats afro-américains tombés au front), procédé que le cinéaste avait déjà utilisé notamment dans son film "Malcolm X", renforce également cette idée que le poids du passé est toujours bel et bien là.


Malgré quelques longueurs, certains personnages laissés un peu sur le carreau (notamment l'employeur français des 4 vétérans joué par Jean Reno et le petit groupe emmené par Mélanie Thierry), ce nouveau Spike Lee se révèle être une oeuvre forte et réflexive qui, quoique l'on pense de la mentalité de son réalisateur, ne peut laisser personne indifférent, servit par un quatuor de comédiens complices (emmené par un Delroy Lindo - déjà mentionné plus haut- au sommet de son charisme et de son talent, qui crève littéralement l'écran dans le rôle de Paul) et par une mise en scène efficace et inspirée, et ce malgré des séquences d'action un peu faible.


Un film qui, à l'instar de bien d'autres ("The Irishman", "Marriage Story") aurait largement mérité sa place dans les salles de cinéma.

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le 28 juin 2020

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