La Chronique Mécanique de DALLAS BUYERS CLUB

Ron Woodroof, texan macho et homophobe, grand amateur de rodéos, de bières, de cocaïne et de filles, a bel et bien existé. Son combat contre le SIDA, mais surtout contre le lobby pharmaceutique, aussi. Mais là où "Dallas Buyers Club" réussit un petit tour de force, c'est qu'il évite soigneusement l'écueil cher à Hollywood lorsqu'il nous narre les "true stories" dont il est friand. Non, ici pas de sentimentalisme ni de pathos à outrance comme dans la quasi-totalité des biopics habituels, finalement tous traité de la même façon. Au contraire même, car l'on pourrait cependant reprocher au cinéaste québécois Jean-Marc Vallée de même manquer trop souvent d'émotion, ce qui confère une certaine distanciation à son "vrai" premier film américain (il en avait déjà réalisé un, "Victoria : les jeunes années d'une reine", d'ailleurs co-produit par un certain Scorsese, mais celui-ci n'avait eu le droit qu'à une sortie très limitée sur le sol états-unien, et bien après les parutions européennes). Alors que la photographie joue elle énormément dans les tons chauds, la mise en scène de Vallée, tout en steadicam, reste froide, voire sèche. Très peu de lyrisme ou d'intimisme. C'est sans aucun doute un parti-pris de la part du réalisateur de l'excellent "C.R.A.Z.Y.", mais on peut d'emblée déplorer quelques maladresses vis-à-vis de ce maniérisme un peu pataud et confus comme le démontre les coupes dans le récit, très certainement sensé être plus long au départ, et qui souffre de légers problèmes de rythme et d'un côté parfois trop elliptique par instants.

A lire le paragraphe précédent, on pourrait penser que je n'ai pas apprécié "Dallas Buyers Club", que je le descends. Ce serait mal lire et me paver de mauvaises intentions. L'histoire de ce film est tellement folle et paraît parfois si improbable qu'elle ne peut qu'être authentique et cela la rend encore plus belle. Ce qui est clair, c'est qu'elle pèche parfois au niveau d'une mise en scène pas toujours à la hauteur de ce sujet fort et grave. C'est évidemment dommageable mais pas non plus catastrophique, loin de là. Le fait d'avoir un parti-pris artistique et un réel point de vue comme ici rend forcément le résultat non-neutre et peut par conséquent déplaire. De toute façon, il est clair que ce drame teinté d'un humour grinçant a bien d'autres as dans sa poche pour rafler la mise. En premier lieu, son roi de pique et sa reine de cœur, à savoir respectivement Matthew Mc Conaughey et Jared Leto.

Les différentes récompenses, énumérées en préambule, que les deux acteurs ont reçu ne sont en rien volées. Désormais à la mode après avoir été quelque peu décrié pour son passif dans les bluettes et autres comédies romantiques insipides ("Hanté par ses ex", "Playboy à saisir", "Sahara", "Comment se faire larguer en 10 leçons", etc...), Mc Conaughey est aujourd'hui une coqueluche dont on vante le talent dans les discussions branchouilles ("Killer Joe", "Mud", "Le loup de Wall Street", la série "True Detective"). Et ça ne devrait pas s'arrêter après "Dallas Buyers Club". C'est simple : il est absolument bluffant et porte le film à lui tout seul sur ses (maigres) épaules tant il est impressionnant de justesse, de sincérité et de puissance dans ce rôle qu'il joue sans la moindre fausse note. Complètement habité par son personnage, il redonne littéralement vie à Ron Woodroof durant près de 2 heures et est la principale attraction de ce film. Sans lui, cela aurait sans nul doute été complètement différent. Les santiags de ce texan lui vont comme un gant, et c'est touché par la grâce des plus grands que Mc Conaughey campe ce self-made man dont raffole les américains. Ce beauf, parfait archétype du redneck, parti de rien pour s'affranchir de tout et de tous afin de réussir tout seul malgré les contraintes, malgré la maladie. Tour à tour drôle et touchant, charismatique et vulgaire, pitoyable et attachant, ce cow-boy est un vrai personnage que l'on on oublie pas. Tantôt on l’exècre, tantôt on l'adore. Un peu comme tous ceux qui ont croisé son chemin quelque part... A lui seul, sans aucune notion de science ni de médecine, il va remettre en cause l'équité d'un marché pharmaceutique géré comme une boite de pub, et faire trembler jusque dans les plus hautes instances. Car Ron Woodroof est comme les taureaux de rodéo qu'il affectionne : impulsif et nerveux, il fait preuve d'une grande force et n'est pas près à tomber si facilement. De plus, à la manière d'un Christian Bale ou d'un De Niro, l'homme n'a pas hésité à perdre près de 20 kilos de sa sculpturale silhouette pour rentrer dans le jean et la chemise de ce texan homophobe en passe d'apprendre la compassion et la tolérance quand il apprend être atteint d'une maladie qu'il réservait aux "sales pédés" pour le citer.

A ses côtés, Jared Leto, qui s'était fait très rare au cinéma ces derniers temps pour privilégier sa carrière musicale (plus aucun rôle depuis 2009 et "Mr. Nobody"), n'est pas en reste lui non plus. On le préfère d'ailleurs sur grand écran que derrière le micro de l'horripilant groupe de "rock" (???) dont il est le leader, Thirty Seconds to Mars. En transsexuel attendrissant et écorché vif, pendant opposé de Woodroof dont il est pourtant plus proche qu'il n'y paraît, Leto marque des points, l'esprit du spectateur, mais apporte surtout la dose d'émotion qu'il manque parfois à ce film trop rêche. Les échanges de son personnage avec celui de Mc Conaughey sont souvent savoureux et piquant.

"Dallas Buyers Club" a le mérite de ne jamais sombrer dans la leçon de vie, de ne jamais s’apitoyer sur le sort de ses héros, ou de vouloir trop en faire pour être lacrymal à tout prix. Il traite ce sujet délicat et profond qu'est la maladie avec beaucoup de recul, souvent à la manière même du film d'arnaque malicieux. Il est parfois inégal certes, manque d'un petit je-ne-sais-quoi qui l'aurait très certainement rendu incontournable, mais possède un grand je-sais-qui : Matthew Mc Conaughey.

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JeanVacances
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le 3 juil. 2014

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