Le danger à gratiner à ce point un portrait, dans le but de rendre le message qu’il véhicule plus percutant, est d’affadir un propos engagé au profit de la performance. Dans Dallas buyers club, il est évident que le crayon contant l’histoire a été appuyé bien trop fort, rendant les contours de chaque personnage tellement ancrés dans le papier qu’aucune gomme au monde, pas même celle du temps, ne pourra faire oublier les superbes prestations de Matthew McConaughey ou de Jared Leto. Les deux hommes sont littéralement habités, s’investissant dans leurs rôles au point de perdre le peu de bidoche qu’ils ont sur les os —20 Kg pour Matthew quand même— et kidnappent le cadre l’un après l’autre, jusqu’à leur dernier souffle.

Mais les deux acteurs, aussi grands soient-ils, ne peuvent combler le manque de nuance qui frappe leurs personnages. Entre le redneck irascible en quête de rédemption qui trouvera l’amour de son prochain dans son combat contre la maladie, et la vieille folle cocaïnomane au cœur d’artichaut, il y avait certainement un juste milieu à trouver. En l’état, leur écriture est par moment tellement caricaturale qu’on en vient à mettre en doute l’histoire qu’ils écrivent tous deux. Et à raison malheureusement, car cette tranche de vie lourdement labélisée «histoire vraie», a vu ses angles être arrondis plus que de raison pour rentrer dans le moule du film social un peu trop misérabiliste.

Non pas qu’il faille remettre en question le côté nécessaire de Dallas buyers clubs ; ne serait-ce que dans sa retranscription brute de décoffrage du milieu gay américain des années 80, il est plus que digne d’intérêt. Mais il est bien difficile d’adhérer au parti pris que fait Jean-Marc Vallée d’écrire des personnages aux traits si forcés qu’ils finissent même par travestir la dénonciation féroce à laquelle ils se prêtent.
Vient en effet un moment, où l’amas de clichés, et la mutation du salopard qu’est Ron en une âme à l’extrême tolérance, ne paraît plus crédible. Résultat, on remet même en question le fond du film : cette guerre permanente entre Ron et la FDA, qui vampirise le récit, jusqu’à sembler trop forcée. Un affrontement presque militaire qui prend tellement de place à l’écran qu’il ampoule l’histoire, au point de la rendre si frénétique qu’on en oublie le temps qui passe. Conséquence, si en fin de bobine, il n’est pas précisé le temps qu’a duré le combat de Ron, bien malin celui qui pourra supposer qu’il a arraché à la vie plus que quelques mois, en dépit du diagnostique morbide qui était celui de ses médecins. Cette gestion temporelle maladroite est réellement dommageable pour le film car elle ne permet pas de rendre l’ampleur du combat, en termes d’implication sur le long terme, qu’a mené Ron Woodroof.

En bref, là où Dallas buyers club aurait pu être une introspection radicale dans un microcosme qui a, le premier, le plus souffert des ravages du Sida, il se contente d’enfoncer des portes ouvertes, en usant de la recette à Oscars comme principal moteur : des acteurs dévorés littéralement par leurs rôles, une histoire à forte valeur polémique, un final un peu tristounet et une mise en scène qui force l’empathie en se plaçant toujours à hauteur de personnage. Un constat un peu gênant, qui n’efface pas la belle tenue de l’ensemble, car Dallas buyers club est un film maîtrisé, mais ne peut non plus faire illusion sur la distance : il manque d’un peu de spontanéité à l’ensemble, ainsi qu’un peu plus de personnalité, pour l’emporter sur le long terme, et parvenir enfin à provoquer cette émotion que recherche Jean-Marc Vallée pendant 1h57 sans parvenir à ne serait-ce que l’esquisser, tout simplement parce que l’écriture très hermétique qui l’invoque ne lui laisse aucune place pour s’exprimer.
oso
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le 13 nov. 2014

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