Texte originellement publié sur Filmosphere le 27/04/2016.
http://www.filmosphere.com/movies/dalton-trumbo-jay-roach-2015


L’industrie du cinéma américain a toujours eu un certain don pour faire office de cataplasme sur les plaies de l’histoire du pays. Avec le film Dalton Trumbo, évidemment, c’est Hollywood qui se regarde le nombril, mais plus exactement en y insérant un mea culpa faisant office de réhabilitation vis-à-vis du scénariste jadis placé sur la liste noire. Hélas, trois fois hélas, non seulement Trumbo a déjà été réhabilité, mais plus grave encore : le film élude complètement l’aspect politique de son sujet, trop concentré sur l’hagiographie d’un résistant.


En toute honnêteté, le projet en lui-même semble trop intéressé pour vraiment être réussi, présentant les symptômes habituels et désormais bien connus du film à la recherche de petites statuettes dorées. En d’autres mots, un film avec un sujet fort mais qui n’a rien à dire dessus, comme inquiet de mettre pleinement les pieds dans le plat. C’est à ce moment-là que notre petite voix interne s’interroge “le réalisateur de L’Espion qui m’a tiré était-il tout indiqué ?”. Un indice : peut-être pas. Malheureusement, le si nécessaire mojo est pour le coup absent. En retraçant de manière académique et apolitique les mésaventures du scénariste de Seuls sont les indomptés, le film devient un réel paradoxe. Il s’agit peut-être de la facette la plus terne du classicisme américain contemporain, celui qui parvient à transfigurer les sujets les plus rugueux en surfaces lisses comme du lino. Mais ledit classicisme en lui-même n’est pas toujours une tare : un coup d’œil sur Good Night and Good Luck de George Clooney, d’autant plus sur un sujet similaire, permet de constater toutes les possibilités offertes malgré tout par le style, et éventuellement les volontés politiques qui se cachent derrière.


Dalton Trumbo est un film sur un communiste notoire qui n’est jamais montré comme un communiste. Ce qui aurait pu être une fresque sociale avec un écho moderne n’est pas. Il aurait fallu avoir la passion de Warren Beatty lorsqu’il tourna le grandiose Reds. Soit, tant pis. Il faut sans doute prendre davantage le film comme un hommage plutôt qu’autre chose. Mais pour quiconque s’intéresse à l’ère hollywoodienne classique, il n’est possible d’être que dubitatif face à cet ensemble de singeries visant à reproduire ce temps des géants. Il apparaît clairement que le film ne s’est pas posé la question quant à imiter l’inimitable, ce qui expose non seulement toutes ses limites, mais plus encore, peut-être aussi le public ciblé. Même comme reconstitution inoffensive, le film échoue à faire croire en ce qu’il décrit, d’autant plus lorsque Jay Roach se permet de tourner de nouveau des extraits de certains films, pastichant involontairement les œuvres de plus grands auteurs. Non seulement le personnage de John Wayne devient une parodie, mais plus encore, ses films aussi. Ça n’est pas tant qu’il soit nécessaire de faire passer le Duke pour un enfant de cœur, mais on peut éventuellement questionner la démarche de rendre aussi ridicule un acteur plus intéressant qu’on ne le pense souvent.


Le problème est que dans sa construction scénaristique et l’élaboration de ses personnages, le film est désespérément manichéen. Or, dans sa résolution, Dalton Trumbo explique justement qu’il ne faut pas juger unilatéralement les hommes et femmes qui ont vécu cette situation trouble où chacun a dû prendre, parfois de force, parti. Tout le film s’emploie pourtant à faire le contraire, notamment en faisant passer le triste retournement d’Edward G. Robinson comme l’infamie d’un sinistre et lâche personnage. Trumbo en lui-même n’est pas remis en question, et si sa croisade se heurte éventuellement à des problèmes familiaux, la raison finit toujours par triompher. Pendant tout le film, on le voit se gaver d’alcool et d’amphétamines sans qu’il n’y ait d’incidence au sein du scénario. Si l’écriture manque de consistance de fond, elle en manque aussi dans la forme. La chronologie elle-même est lacunaire, omettant son exil au Mexique (lors duquel il écrivit Gun Crazy, rien que cela) ou encore l’éviction d’Anthony Mann de Spartacus. Ça n’est pas tant qu’il faille toujours respecter l’exactitude historique surtout dans le cadre d’une adaptation, mais en l’occurrence, ces anecdotes trahissent certainement le simplisme constant de l’écriture.


Pas de scoop à l’horizon : faible ambition, faible qualité. La recette est tellement éculée qu’elle semble finalement ne plus tromper qui que ce soit. La starification éphémère de Bryan Cranston grâce au petit écran témoigne finalement d’une portée plus que relative. Dans la myriade de biopics conventionnels actuels, Dalton Trumbo n’est pas moins oubliable qu’un autre. Autant conseiller la flopée de livres rédigés sur le sujet comme le documentaire éponyme sorti en 2007, ou, plus simplement, l’intégralité – ou presque – de la filmographie du scénariste, à clôturer impérativement avec sa réalisation, Johnny s’en va-t-en guerre.

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le 29 sept. 2016

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Lt Schaffer

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