Un beau film mais qui cherche un peu trop à éblouir

J'ai regardé ce film sans en connaître l'histoire, ce qui m'a permis de bénéficier d'un regard frais et de me laisser surprendre.
Dans les premières minutes du film, je me suis dit qu'il risquait d'être "trop parfait", avec une forme hyper-léchée mais un manque de fond. Simple impression. A ce stade, je n'avais aucune idée des enjeux du film. J'avais même le vague sentiment que la danish girl serait la femme et non l'homme, et qu'il serait peut-être question de la difficulté pour une femme, qui plus est l'épouse d'un peintre renommé, de percer dans le monde de la peinture, ou quelque chose comme ça. Un sujet peut-être plus classique, mais qui aurait eu son intérêt, sachant de toute façon que c'est la manière de traiter un sujet qui importe plus que le sujet lui-même, et que rien n'oblige à une surenchère dans l'originalité (calculée) pour faire un bon film.
J'ai pris plaisir, au début du film, à voir vivre ce couple de jeunes artistes heureux et épanouis, qui s'aiment, tout se passe bien. Peut-être trop bien ? En tous cas, quand l'homme a commencé à s'habiller en femme, à repousser sa jeune épouse, à la tromper avec un homme sans même en avoir envie et sans même y prendre plaisir, bref, à gâcher deux vies, j'ai été plutôt agacé. Il faut dire aussi que son comportement du peintre est plutôt égoïste et narcissique, il n'aime rien tant que se regarder dans un miroir, et se moque bien de la détresse de sa compagne. Mais à ce stade, je ne savais toujours pas qu'il serait question de la première personne transexuelle opérée.
Danish Girl bénéficie d'une esthétique assez éblouissante, tout est archi-travaillé, les décors, les costumes, la photographie, l'image, les dialogues, les reconstitutions... Certaines scènes ressemblent à des tableaux, faisant écho au métier de peintre des protagonistes. Toutefois, c'est un peu trop lisse, un peu trop léché, un peu impersonnel, un peu trop classique et académique. Tout comme le traitement de l'histoire d'ailleurs. On peut avoir l'impression de regarder un téléfilm. Un téléfilm de grande qualité, mais un téléfilm quand même.
Mais surtout, c'est tellement ciselé que ça donne un peu une impression d'artificialité et de démonstration, pour impressionner le spectateur (démarche donc un peu narcissique). Chacune des phrases, chacune des expressions des deux acteurs principaux est parfaite, chaque réplique est cinglante, drôle et spirituelle, ça s'enchaîne sans répit, du tac au tac, c'est parfaitement maîtrisé et approprié, sans aucune hésitation, sans aucun débordement, sans aucune maladresse - surtout dans la première parie du film. Même quand ils pleurent ou se disputent, cela reste délicat, beau, gracieux. Le héros meurt même de façon élégante et raffinée, et avec le sourire, c'est dire. Ces défauts et doutes les rendraient pourtant plus humains et plus touchants, car dans la vraie vie ça ne se passe pas comme ça.
Il faut pourtant reconnaître que ces deux acteurs sont époustouflants, surtout elle, magnifique au naturel, débordante de vie, et malgré ces réserves, chacune de ses paroles, chacune de ses expressions, chacun de ses gestes, est un bonheur, une grâce. Lui en fait peut-être un peu trop, on est à la frontière entre l'admiration de la virtuosité et l'agacement.
De manière générale, le film tend à être dérangeant, en tous cas troublant, et c'est d'ailleurs, à mon sens, ce qu'une oeuvre d'art doit être. Par exemple lors de la scène où le personnage, décidé à devenir femme, va voir une prostituée dans un peep show en imitant chacun de ses gestes, comme un apprentissage de sa féminité. Ca peut sembler paradoxal puisque j'ai dit précédemment que le film était trop lisse.
Peut-être parce que je trouve qu'il y a quand même quelque chose d'artificiel dans la narration, car ce jeune peintre se découvre une identité de femme presque d'un seul coup. Il y a certes eu un précédent, un baiser échangé dans l'enfance avec un ami, mais c'est tout... Le film n'explore pas vraiment les raisons de cette volonté de changement de sexe (pardon, de "réassignation"), c'est comme ça et c'est tout, ça arrive comme un cheveu sur la soupe. Il est pourtant heureux dans son couple, il aime sa femme et aime lui faire l'amour, ils communiquent beaucoup, ont une vraie complicité, partagent beaucoup de choses. Il décide pourtant de détruire tout cela, de se rendre malheureux, de la rendre malheureuse, et il meurt même de son choix. On a même l'impression presque d'un suicide déguisé... Il dit d'ailleurs à plusieurs reprises qu'il veut tuer Einar, (c'est-à-dire lui en tant qu'homme). Le verbe tuer n'est peut-être pas anodin... En tous cas, cette mue semble pour lui inéluctable, comme s'il était une victime impuissante qui ne peut faire autrement.
Le personnage est présenté comme une héros au courage exemplaire. Pourtant, il parle de lui-même à la troisième personne pour parler de la femme à lui, il lui donne un prénom n'ayant rien à voir avec le sien, il se sent comme possédé, sa personnalité change complètement lorsqu'il se déguise en femme, une envie qui devient de plus en plus irrépressible. Les médecins concluent à de la schizophrénie, et en l'espèce on aurait du mal à les contredire. Le problème est que l'accent est mis uniquement sur le corps, au détriment de l'esprit, de la psyché : il est urgent de s'acheter un nouvelle enveloppe corporelle, et le reste importe peu - ce qui n'est pas étonnant dans une société si matérialiste et consumériste.
Si encore le héros était épanoui et heureux en tant que femme, mais ce n'est pas le cas, ça ne va jamais. On peut quand même se demander s'il n'y a pas un mal-être plus profond, ce problème d"identité n'étant qu'un révélateur mais pas le fond du problème, miraculeusement résolu par la technique et la technologie (opération, médicaments). Je ne dis pas qu'il a eu tort, qu'il aurait dû accepter ce que la nature lui a offert, je dis plutôt qu'il y a quelque chose qui cloche, de pas très crédible.On n'assiste pas vraiment à la métamorphose d'une chenille devenue papillon...
Il s'agit donc d'un beau film, avec des acteurs époustouflants, mais qui m'a laissé une impression mitigée, à la fois pour la manière de filmer et pour la manière de traiter l'histoire.

Spellbound
6
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le 31 mai 2019

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Spellbound

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