Catharsis : apaisement des passions, libération affective (selon le Robert de poche). On reproche bien souvent à Hollywood sa voracité quasi-mécanique à l’encontre de la forme artistique pure, et la façon dont il en défèque des œuvres aux visées commerciales. Le débat est vaste, de grands succès cinématographiques ayant été adaptés d’œuvres littéraires côtoient les adaptations dénoncées comme ratées. Voilà pourquoi beaucoup d’auteurs résistent à l’appât du gain et refusent toute adaptation de leurs œuvres, ou bien dans le cas contraire ils s’assurent de garder un œil sur le travail effectué. Ce phénomène n’a rien de nouveau et c’est une telle histoire que nous conte ce film.

En 1961 cela fait vingt ans que Walt Disney (Tom Hanks) essaie d’obtenir les droits d’adaptation du personnage de Mary Poppins auprès de son auteure P.L. Travers (Emma Thompson). Il l’invite à Los Angeles et lui donne un droit de regard total sur l’adaptation de son bébé, son équipe se pliant littéralement en quatre pour satisfaire à toutes ses exigences les plus incongrues et pénibles. Mais cela ne suffit pas, et Pam n’arrive pas à céder sur le moindre détail : et pour cause, pour cette vieille fille au tempérament insupportable, ces personnages représentent plus que de simples créations.

L’idée que la machine à adapter hollywoodienne ne serait pas si méchante que ça est un peu convenue, mais on ne parle pas ici de n’importe qui : si on sait que Disney a très bien géré son empire et n’a jamais rechigné à la déclinaison commerciale, on ne peut pas non plus lui reprocher de ne jamais avoir soigné ses œuvres. Œuvres qui au passage étaient quasiment toutes des adaptations, et dont on ne peut nier aujourd’hui que leur imagerie est devenue une totale référence pour tout ces concepts (qui donc oserait imaginer Clochette ou les sept nains autrement) ? Si le portrait du père Walt est très positif, il n’est pas non plus trop lisse, et montre bien un bonhomme borné qui entend bien que les choses aillent comme il le veut. Un bel hommage sans doute.

Mais au-delà de la vision, très plaisante par ailleurs, d’un autre temps qui ravira les fans d’animation, le film se concentre surtout sur le lâcher prise, le fait de laisser partir les choses qui nous sont chères, même si elles sont douloureuses. Car la douleur est préférable au vide de la perte. L’histoire de P.L. Travers, qui nous est racontée de manière entrecroisée à travers tout le film, explique pourquoi l’auteure se sent trahie quand on touche à ses personnages : ils sont sa famille. Le personnage d’Emma Thompson n’a pu surmonter les traumatismes de son enfance que grâce à l’écriture de ses histoires, dans lesquelles elle a réparée le mal qui a été subit par tous, et a pu donner à la petite fille qu’elle était une fin heureuse. Si elle est si tatillonne, c’est parce que changer le moindre détail de cette histoire lui ravirait sa fin heureuse, sa béquille qu’elle s’est crée pour vivre sa vie d’adulte.

Il y aurait beaucoup de choses à dire sur les sensations que peut procurer ce film. J’y ai beaucoup pleuré. Ce qu’il faut en retenir je pense, c’est le lien formidable qu’on peut avoir à l’enfance, comment ce lien peut nous ravir, nous porter, mais aussi nous enfermer. On passe notre vie d’adulte à réparer ou à aménager les rêves de notre enfance.

Comme beaucoup de films de ce type, s’intéressant à une œuvre et à des personnages particuliers, votre ressenti dépendra énormément de votre attachement initial à Mary Poppins, à Walt Disney et à l’image de l’enfance en général. Objectivement, la réalisation est propre, sans fioritures. Les deux récits s’entremêlent habilement, avec une culmination au milieu du film où les deux époques se mêlent dans une séquence particulièrement jouissive et emplie de sens.

Les acteurs donnent tout. Emma Thompson nous enchante par son acariâtreté et sa fragilité, elle porte beaucoup d’émotions dans le film. Tom Hanks nous fait un Disney faste et débonnaire qui pourrait paraître manquer de nuance, mais après tout c’est bien à son personnage public que le film s’intéresse. Une des surprises du film est la présence de poids lourds, en les personnes de Paul Giamatti et de Jason Schartzman, dans des rôles très secondaires, mais leur enthousiasme et leur sincérité sans équivoque, contrastant merveilleusement avec la bouderie du personnage principal, portent le film tout autant que les autres. Enfin, Colin Farel m’a ému aux larmes dans sa performance à la fois joyeuse et sensible du père de l’héroïne, un homme dont les failles n’obscurcissent jamais l’envie de faire autre chose de la vie qu’on nous donne.
Enfin comme on pouvait s’y attendre la musique reprend les thèmes originaux de Mary Poppins, mais remis en perspective dans leur élaboration, leur sens et leur impact, si bien qu’ils n’en sont que plus beaux et intéressants.

J'étais plutôt fan de l’histoire de Disney en général que de Mary Poppins, et pour ces raisons, et d’autres, ce film a résonné en moi. Après, c’est une question de foi, de croyance. On peut tout à fait être cynique et dire que ce film dégouline de bons sentiments et cherche à faire des raisonnements psycho-intellos là où il n’y avait qu’une histoire de gros sous. C’est une question de choix, comme on peut choisir de croire en l’amour, ou alors en la chimie. Je choisis personnellement de croire qu’en 1961, Disney cherchait seulement à faire le meilleur film possible, parce qu’il y croyait.

(Au passage relevons encore la médiocrité du travail d’adaptation du titre : Saving Mr Banks (traduit littéralement par Sauver Mr Banks) devenant Dans l’ombre de Mary, la promesse de Walt Disney. Maintenant, loin de moi l’idée de tout traduire littéralement, une bonne traduction doit véhiculer une idée davantage qu’un terme précis, mais en faire un titre purement descriptif qui vous raconte la moitié du film sent le marketing à plein nez, et je ne suis pas certain que le film en avait tant besoin. Dommage.)
Thomas_Lay
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le 19 juil. 2014

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Thomas Lay

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