L’autre nuit, j’ai rêvé que l’on adaptait un de mes livres à l’écran, mais de la pire manière qui soit. Les acteurs jouaient sans aucune conviction, le réalisateur avait rajouté des scènes qui n’existaient pas dans l’œuvre d’origine, les décors et les costumes n’avaient rien à voir avec l’univers que j’avais créé, mais il s’agissait bien de son adaptation puisqu’un technicien était venu me chercher, tout affolé, pour transmettre mon aval au metteur en scène. Inutile de vous dire que je faisais un scandale en constatant l’ampleur des dégâts.

En me réveillant quelques temps plus tard, je repensais à ce film illustrant l’affrontement qui s’était tenu entre Walt Disney lui-même et la créatrice du personnage de Mary Poppins. Autant d’obstination à refuser en bloc toutes les propositions du personnel des studios pourrait être perçu comme découlant d’un mode de pensée étriqué, rabat-joie, réfractaire aux suggestions. Personnellement, vouloir à tout prix apporter sa touche personnelle sur une œuvre préexistante, contre l’avis de son auteur, me paraît être une forme de trahison – vis-à-vis de l’œuvre comme de l’auteur –, d’autant plus lorsque c’est dans un but mercantile. Si on adapte un livre, c’est que, quelque part, l’histoire nous plaît. Pourquoi vouloir à ce point la modifier ?

Pour un texte relativement chargé – comme c’est le cas du Seigneur des Anneaux ou de la saga Harry Potter –, faire des coupures me paraît tout à fait acceptable dans le sens où l’attention d’un être humain ne peut de toute façon pas excéder deux heures et demie/trois heures. Au delà, on baille, on s’ennuie, on regarde sa montre et on somnole (et ce, peu importe la qualité du scénario). Pour des récits à histoires multiples – comme les aventures de Tintin, Astérix ou du Petit Nicolas –, faire des choix me semble également être logique. On ne peut pas tout adapter. Il y en aurait pour des années et le public finirait sensiblement par se lasser. Mais, imposer des modifications telles qu’une maison cossue pour des personnages à l’origine de moyenne classe – juste parce que c’est joli –, ça n’a pas de sens.

De la même façon, pourquoi imposer des chansons dans une œuvre qui n’en comporte pas et alors que l’auteur n’en souhaite pas (pour des raisons qui lui sont propres et peu importe à dire vrai) ? Pour rester dans la ligne éditoriale des studios ? Belle preuve d’ouverture d’esprit et de capacité à se remettre en question. Un peu d’innovation n’a jamais fait de mal à personne. Et pourtant, Mary Poppins aura des chansons, comme tous les autres films produits au préalable. Et il y aura tout de même des personnages animés (ceci étant, faire danser de véritables pingouins, c’est pas ce qu’il y a de plus facile à faire…) ainsi que du rouge (la remarque a néanmoins peut-être été faite juste pour casser les pieds de l’équipe technique).

Bref, tout ça pour dire, que je comprends l’attitude de la « mère » de Mary Poppins. Je comprends son envie de garder le contrôle sur son œuvre qui lui échappe petit à petit. Je comprends aussi qu’elle puisse trouver l’univers Disney (avec ses chansons et ses histoires à l’eau de rose) niaiseux à souhait. Et, au fond, malgré tout l’amour que je porte aux studios qui ont bercé mon enfance, je pense que j’aurais la même attitude que Travers s’ils venaient à vouloir adapter un de mes livres (ce qui n’est pas près d’arriver, soyez en sûrs).

Mais Dans l’ombre de Mary ne traite pas que de la difficulté d’adapter un texte sans le piétiner sauvagement, il est également question de l’amour qu’une fille porte à son père, aussi irresponsable soit-il. Parce qu’il est drôle, parce qu’il raconte des histoires qui font voyager vers des terres lointaines, parce qu’il est beau, tout simplement. Et, découvrir qu’il n’est finalement rien de plus qu’un homme détruit par la perte de son précédent travail, qui ne parvient qu’à remonter brièvement la pente à coup de lampées de whisky et qui néglige son épouse pour se tourner vers sa fille aînée dont le regard brille d’admiration, n’empêche pas ladite fille, devenue adulte, de faire une ultime déclaration d’amour à celui-ci, par l’intermédiaire d’un personnage fictif en apparence sévère mais qui cache un cœur tendre et fragile. Et, plus que Mary Poppins – dont l’origine est révélée en fin de film et pour laquelle l’auteur a peu d'estime –, c’est ce personnage que Travers souhaite voir préservé dans l’adaptation de ses ouvrages.

Ce sont donc deux histoires qui s’entremêlent, servies par des acteurs qui jouent très bien leur partition, une musique relativement discrète, une photographie correcte et une réalisation classique. Un film qui, en soi, n’a rien d'exceptionnel mais qui permet de découvrir l’envers du décor, les rouages de la création façon Disney mais aussi les dessous d’une œuvre littéraire devenu culte par le biais de son adaptation (que je n’ai toujours pas vue). Et puis, c’est aussi un choc culturel entre l’Angleterre et son rejeton décadent, les Etats-Unis, qui apporte la dose d’humour nécessaire pour alléger le récit.
NicodemusLily
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le 17 févr. 2015

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