Je ne suis pas sûr d'être capable de critiquer "Saving Mr. Banks" (Comme d'habitude le titre français est à l'Est, comme le vent du même nom) de manière objective : j'ai adoré et adore toujours le "Mary Poppins" de l'oncle Walt, malgré les années, malgré la saveur quelque peu surannée qu'elles ont donné au morceau de sucre et aux ramoneurs dansant de Londres. Non, je n'ai pas pu regarder le film d'un œil objectif parce que comme pas mal de fan, je guettais Mary... Et si vous décidez de le visionner pour cette raison, autant dire que vous serez déçu(e), car de Mary on ne voit, hé bien, que l'ombre, la silhouette plus exactement, esquissée derrière Pamela L. Travers, magnifiquement campée par Emma Thompson. L'actrice parvient à donner au personnage tout son caractère, sa froide rigueur, tout en laissant deviner une femme triste, ce qu'était probablement Travers lorsqu'on se penche sur sa biographie.


Face à elle, Tom Hanks poste un Disney tout en courbettes, en auto-satisfaction et en paternalisme à la fois sympathique et manipulateur, dont il est difficile de dire à quel point il est sincère (et un regard à la biographie de Disney ne plaide pas franchement en faveur de la sincérité). Les autres acteurs, s'ils ont des rôles plus effacés, sont efficaces sans trop en faire, là où on pourrait craindre une débauche de bonheur forcené et artificiel. Par ailleurs le scénario rend hommage à cette équipe qui essuya davantage le mécontentement de Travers que Disney lui-même, équipe à qui l'on doit les mémorables chansons de Mary Poppins.


Le film est magnifiquement réalisé et , s'il n'a aucune touche de fantastique ou de merveilleux, emprunte beaucoup dans son esthétique et sa mise en scène aux contes et aux livres d'enfants, au travers de quelques plans iconiques de l'enfance de Travers, petit ange blond très vite rattrapé par la réalité où un père conteur meurt de son alcoolisme. Si le drame est un peu trop monté en pathos dans le film - nous sommes chez Disney - reste qu'il ne fait que suggérer à quel point les auteurs, y compris de merveilleux, plongent leur imagination dans des souffrances irrésolues, une sorte de paradoxe de clown triste qui servira aussi de conclusion au duel entre Travers et Disney.


Et j'en viens à un point important, primordial même : la genèse de Mary Poppins ne s'est pas déroulée telle que décrite dans le film. Travers a renié le film et a refusé d'adresser la parole à Disney, qui s'est approprié le personnage et en a fait ce que l'on sait. Dans quelle mesure Walt a-t-il piétiné les desiderata de Travers, dans quelle mesure a-t-il dénaturé son héroïne - malgré tout venue sauver ce père mourant, dans quelle mesure Travers était-elle de toute manière impossible à contenter, le film ne le dit pas. Néanmoins, il a la finesse de laisser une fin ouverte n'exprimant pas clairement une réconciliation entre l'auteur et Disney. Difficile de demander aux studios Disney d'être critiques envers leur propre créateur. Mais cette fin ne masque pas l'évidence : le film ment et embellit ce qui fut vécu comme un saccage par la créatrice de Mary Poppins. Un saccage qui réjouit des milliers d'enfants - dont moi - et dont nous sommes en définitive les complices.


Pour autant, le film n'est pas une imposture - si on le visionne en gardant en tête comment se sont réellement déroulées les choses, du moins - mais il pose une question intéressante, une question qui régit toute l’œuvre des studios disney : à quel point le merveilleux doit-il masquer la réalité, à quel point devons-nous fermer les yeux pour nous évader ? La magie de Disney repose sur cette dichotomie amère, parfaitement résumée dans le jeu d'acteur de Tom Hanks, entre bienveillance et calcul. Lorsqu'il affirme à une Travers au bout du rouleau ne pas considérer sa Mary Poppins comme une simple brique à rajouter à son empire, on a envie de le croire et pourtant... difficile quand on sait de quoi les studios ont été et sont encore capables aujourd'hui. Le merveilleux est schizophrène, c'est un peu le message que j'ai retenu de "Saving Mr. Banks" et s'il est difficile de renier la magie qu'offre Disney, il serait bien naïf d'oublier qu'elle s'est bâtie sur de faux semblants. Une leçon admirablement filmée, peu amène dans ses intentions, si l'on reste en surface, pleine de finesses si on sait faire la part des choses... et donc tuer la magie. Le film m'a laissé aussi enchanté qu'amer, on ne pouvait pas mieux résumer l'œuvre de Walt Disney.

SubaruKondo
9
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le 16 déc. 2015

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