Le film catastrophe n’a jamais percé dans le cinéma français. Que ce soit pour des raisons culturelles ou budgétaires, le fait est là. Et s’il est difficile de mal vivre cette absence tant le cinéma hollywoodien nous gave de productions du genre depuis trente ans, n’arrive-t-il pas au cinéphile français de se demander à quoi l’Armageddon français ressemblerait, ou l’Independence Day, ou le Cloverfield ? Dans ces cas précis, la responsabilité incombe peut-être davantage à l’autre grosse carence du cinéma français, celle du genre SF, que nos élites considèrent comme un sous-genre en littérature, malgré des auteurs comme Barjavel ou Bordage, mais notre constat vaut tout autant pour un Titanic, un Alerte !, ou encore une Tour Infernale à la française (non, le film d’Eric et Ramzy ne compte pas). Or nada, là non plus. Alors, fatalement, quand un petit Français s’attaque au double-morceau catastrophe + SF, son film ne peut que nous inspirer d'abord une franche curiosité, et après une certaine clémence, surtout quand on voit la promo catastrophique dont ces films « bénéficient ». C’est arrivé fin 2016 avec Arès, de Jean-Patrick Benes ; ça arrive ce printemps avec Dans la brume (quoiqu’il s’agisse, techniquement, d’un film franco-québécois, comme son réalisateur), à qui l’on donnera un 7 plutôt qu’un 6, parce qu’il ne mérite EN RIEN son cuisant échec en salles, et qu'il faut encourager un peu ces petits Français désireux de faire AUTRE CHOSE que de l'ego-trip d'auteur parisien moulé dans un noir & blanc arty.


Ceci étant dit, Dans la brume n’est pas le canard boiteux de la classe que l’on va prendre sous son aile par souci d’humanité. Sa note « officieuse » descend à six étoiles pour des raisons essentiellement scénaristiques que sont ses dialogues parfois télévisuels (on pense surtout au premier acte), le dépouillement radical de sa narration, et sa conclusion trop abrupte, mais nous n’avons pas vraiment eu de mal à lui accorder le point supplémentaire de sa note « officielle » parce que malgré les défauts précités, il ne propose pas seulement une expérience intéressante : Dans la brume est aussi un assez intense film d’aventure (au singulier !), fort d’une mise en scène étonnamment vigoureuse et maîtrisée jusque dans ses scènes d’action, un bel objet visuellement abouti (voir les plans zénithaux de Paris sous la brume), et un récit apocalyptique (plutôt que post-) maîtrisant pleinement les codes du genre quitte à pâtir de quelques clichés. Le tout… pour un budget de dix millions d’euros. Certes, là encore, un élément dans un sens étranger à la qualité du film vient influencer en bien notre avis, mais avouons que ça ne rend le résultat que plus admirable.


Nous avons posé comme problématique le choix d’une narration dépouillée. Dans la brume ne perd VRAIMENT pas son temps. Il est fort louable que les scénaristes aient décidé d’éviter les interminables salamalecs des films hollywoodiens du genre avec leurs quatre-vingts pour cent de matière grasse, mais ce mode économie d’énergie leur joue quelques tours quand ils négligent le développement de leurs personnages au profit de l’action, là où un compromis étaient aisément atteignable. Mais jusqu’à un certain point, ils sont parvenus à en faire une force motrice assez remarquable : par exemple, l’exposition, qui doit durer à peine dix minutes là où les Américains en aurait réquisitionné trente, apporte pile ce qu’il faut d’informations (comme la situation maritale des parents, qui n’est pas bien lourdement explicitée). Et l’absence d’intrigue et de personnages secondaires contribue à l’effet claustrophobique d’un film « à hauteur d’homme » où aucune hauteur ne sera jamais prise. Par ailleurs, parce que MÊME un film comme The Road recourait sporadiquement à des personnages tertiaires, Dans la brume ne pouvait se limiter intégralement aux trois personnages principaux que sont les parents et leur gamine, et le quota minimal (on a bien dit « minimal ») est assuré avec le couple de personnes âgées de l’étage du dessus : si on les prend au début pour un élément comique inoffensif, avec la petite vieille atteinte d’Alzheimer, ils finissent par toucher, là aussi en une économie d’efforts (par la simple évocation de leur fils), principalement le jeu émouvant du vétéran Michel Robin.


Dans la brume n'a de toute façon pas une composante sociologique comme The Mist, mémorable film de Frank Darabont auquel il fait inévitablement penser. Certains lui reprochent son recours à des clichés du genre, que nous avons volontiers reconnus (comme le flic profitant de ses armes pour s’imposer, ou encore le chien enragé, qui rappelle un peu Le Jour d’après)… mais il n’a pas vraiment le temps de les accumuler. Quand l’aurait-il eu ? Daniel Roby ne laisse pas au spectateur le temps de respirer, et ce dernier accepte volontiers de risquer la noyade tant sa mise en scène des passages les plus mouvementés s’avère d’une efficacité et d’une agilité absolument épatante : voir, par exemple, la caméra virevoltant lors de la poursuite avec le clébard susmentionné, le tout bien aidé par la performance très physique d’un Romain Duris dans un jour AVEC. S’il y a bien une chose à laquelle on ne s’attend pas quand on voit un film français, c’est qu’il chiade des scènes de ce genre. Pour finir, au chapitre spéculations, l’émeute sur le parvis du Sacré Cœur ne serait-il pas justement un hommage à des films comme The Mist, qui explorent la noirceur de l’homme à travers l’implosion de groupes de survivants ? Dans la brume, c’est un peu comme l’histoire d’une famille paumée dans la banlieue de la ville où sont coincés les survivants de The Mist.


On trouvera cependant un autre point commun entre les deux films : leur refus de la facilité. Ce n’est pas l’origine de la catastrophe qui intéresse Roby et ses scénaristes. La question se pose forcément, mais aucun personnage n’en saura davantage que nos protagonistes principaux, et la réponse ne viendra jamais – ce qui ne les a pas empêchés de traiter la chose avec le plus de réalisme possible, faisant souvent référence aux services publics hors-service. Non, ce qui les a intéressé, la substance de leur film, c’est le sacrifice parental (la protection d’un enfant en bas âge étant également un des nœuds dramatiques de The Mist, tiens). Les dialogues ne sont pas le fort du film, c’est établi, et cela inquiète même un peu durant l’exposition (fusse-t-elle efficace), avec ses échanges pas très inspirés ni particulièrement bien interprétés entre les parents et leur fille, jouée par une actrice qui aurait plus sa place dans un feuilleton de TF1. Mais une fois la catastrophe arrivée, l’atmosphère du film s’assombrit progressivement. Nous parlons d'une vibration mauvaise n’émanant pas de la situation en elle-même (on sait, que c'est bien pourri) ; c’est plutôt son « européanité » qui parle à ce moment-là, laissant ressentir au spectateur que tôt ou tard, quelque chose de bien tragique va se produire, inévitablement, là où l'on en douterait face à un film hollywoodien. Et cela arrive avec la décision assez burnée de tuer le personnage de la mère, hors-champ, après une scène très forte où son sacrifice ne laisse aucun doute sur la suite des événements – un rôle qui, au passage, offre à la toujours sublime Olga Kurylenko une occasion rare de montrer qu’elle est très bonne actrice. Le dernier acte du film bénéficie grandement de cette décision sur le plan dramatique, saisissant émotionnellement le spectateur pour ne pas le lâcher. Le sacrifice est une des actions les plus puissantes dans le registre de la tragédie, et pourtant, il est rarement traité d’une façon non caricaturale. Dans la brume exprime sa beauté primale avec justesse.


C’est grâce à cela que nous excusons les faiblesses de sa conclusion, que bon nombre de spectateurs frustrés n’ont pas manqué de tailler. Soyons clair, il aurait fallu au film une bonne vingtaine de minutes supplémentaires pour paraître VRAIMENT complet (histoire d'atteindre la durée... moyenne des films actuels). Pas question ici d’un temps supplémentaire pour expliquer le schmilblick, encore une fois, là n’est pas l’intérêt du film ; non, nous parlons juste du sens de son twist, au demeurant fort surprenant et bien joué, quoiqu’il rappelle un peu celui de The Last Girl. Le temps de nous faire comprendre où Roby et ses scénaristes ont voulu en venir, car en l’état, on est même en droit de penser qu’ils n’avaient aucune idée de la signification de leur twist. Le flou est total, et nous laisse en plan avec une myriade de question qui, elles, auraient mérité des réponses : s’agit-il d’une sélection naturelle, les épargnés par le cataclysme marquant l’aube d’une nouvelle humanité dans l'impitoyable histoire de l'évolution ? Si oui, qu’est-ce qui distinguerait cette dernière, en plus de sa plus grande résistance ? Pourquoi des enfants ? Si un chiot a survécu et non un chien adulte, quelle est la logique derrière la survie du clébard enragé ? Quel lien avec la maladie ? Et pour finir, où la fille va-t-elle trouver une nouvelle batterie pour son père sous cloche ? Il y avait tant à faire, avec cette nouvelle situation ! Donc, si nous excusons ce que certains qualifient de « non-fin », c’est grâce à la douloureuse ironie qui résulte de l’articulation entre ledit twist et le thème du sacrifice parental, éclairant sous un angle délicieusement cruel tout ce qui s’est produit durant les quatre-vingt-dix minutes précédentes (rendant parfaitement futile le sacrifice de la mère, par exemple). Alors, on pourra là aussi regretter le flou qui entoure ce choix scénaristique. Où voulait-on en venir ? Mais l’émotion que Dans la brume nous inspire, à cette occasion, et la rareté de cette émotion, l'excuse, disons, in extremis. Une très inégale, mais aussi bien belle expérience.

ScaarAlexander
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le 27 avr. 2018

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