Critique pour le site Le Bleu du Miroir


Femme (extra)ordinaire
Diamant brut à l’éclat complexe, Daphne trace le destin d’une femme d’aujourd’hui dans une vie (dés)enchantée à travers la caméra de Peter Mackie Burns et le regard d’Emily Beecham. Une alchimie cinématographique évidente entre le réalisateur et l’actrice donnant au film une essence particulière malgré une trame du quotidien presque ordinaire.


Sauf que Daphne n’a rien d’ordinaire, et tel un diamant, le film dévoile au gré d’une déconstruction narrative les différentes facettes d’une trentenaire trimballant son air désabusé et sa verve cinglante à travers un Londres mélancolique. Un portrait d’un naturalisme saisissant grâce à la performance d’Emily Beecham qui, à chaque plan du film, dévoile toute la singularité du personnage et de ses questionnements existentiels. Et ce n’est qu’en approchant sa caméra au plus près de son actrice que Peter Mackie Burns permet d’apercevoir la fragilité de l’héroïne, cachée derrière le parapluie cynique qui tente vainement de la protéger des goutes amères de la vie : le désœuvrement amoureux, les rapports conflictuels avec sa mère, la difficulté de se lier aux autres…


Une histoire du XXIe siècle dans laquelle Daphne se pare d’un spleen baudelairien pour transcrire avec lyrisme les maux universels de l’humanité mais que le personnage vient balayer de temps à autre d’un revers de la main. Car loin de se conformer aux diktats éculés de l’identité féminine souvent vus au cinéma, ou même dans la réalité, Daphne fait ses propres choix, refuse le cliché de la sensualité outrancière et cherche à s’accomplir seule, laissant derrière elle les injonctions d’empowerment et mettant un coup de pied à la socialisation genrée au nom de la liberté et de la quête de soi.


Liberté, elle incarne ton nom
Tout en Daphne semble être une ode à la liberté, que ce soit corporel ou comportemental. Ainsi, l’héroïne préfère bien souvent un gros pull « informe » à une tenue moulante, se montre sans phare et s’accorde l’apparat de la sophistication qu’à certaines occasions. Au placard l’image de la femme plastifiée, Emily Beecham révèle la femme au naturel avec une simplicité qui offre une respiration salvatrice dans l’univers glacé du cinéma, que tant de personnes s’obstinent à conserver comme le démontre laborieusement la bande annonce du prochain opus de la saga Ocean’s où les actrices sont glamourisées, où les personnages féminins ne pensent que bal et bijoux !


Et du corps être au corps faire, là encore le film propose une version décomplexée de ce que doit représenter une femme dans la sexualité. Prônant une forme de « sex positive », Daphne ne cesse de répondre à ses envies sans se préoccuper du qu’en dira-t-on, agit en tant qu’être humain doté de désir. D’expériences plus ou moins satisfaisantes en rencontres troublantes, elle laisse libre cours à ses pulsions tout en essayant de converser le contrôle. Son attitude remise ainsi au placard le slut-shaming et encourage une libération en accord avec sa tête, transposée dans le film grâce à une imagerie qui se refuse à plonger dans l’objectification de l’actrice, préférant une pudeur visuelle.


En définitive, Daphne n’a jamais été une petite fille gentille, et c’est tant mieux. Elle incarne cette nouvelle génération de femmes en quête de liberté, écoutant son horloge professionnelle et non la légendaire horloge biologique, et qui s’assume en toute simplicité. Daphne est d’un hymne féministe avec un girl power à mi chemin entre la rage anti patriarcale des Riot Grrrl et le « sex positive » des Spice Girls. Un combat pacifique qui démonte les archétypes de la féminité pour offrir une parenthèse où l’errance devient en soi la solution.

CCorubolo
8
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le 7 mai 2018

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