La saison est sèche pour tout le pays sans nom (même si l’on y reconnait le destin du Tchad), parceque tristement archétypal de l’histoire de bien des pays d’Afrique. Après la guerre, l’amnistie laisse dans l’impunité un grand nombre de criminel au nom de la reconstruction. Cet après laisse des traces un peu partout, et la pudeur du traitement contamine une mise en scène elle-même volontairement aride. De retour du chaos, la parole est impossible : on lui substitue un revolver, elle passe par la radio anonyme ou le micro métallique d’un homme qui a perdu ses cordes vocales. Les infirmes jonchent le réel : aveugle, quasi muet, dos brisé : la génération de la guerre n’est plus qu’un fragment d’individus.
Le jeune à qui l’on demande de venger le sang de son père se trouve donc au carrefour de l’histoire ; la répéter perpétuera le cercle vicieux de l’autodestruction par le sang à nouveau versé. S’y opposer le forcera à en redéfinir les lignes et s’interroger sur le sens de son acte : lâcheté, déshonneur… ou courage.
Mutique, presque bestial, Atim se crispe sur la crosse et part en quête de sa victime. Mais à son silence déterminé répond une porte qui s’ouvre et une proposition de pain. Qu’on mange, d’abord, puis qu’on fait. Tout un réseau d’opposition se tisse alors : venu pour tuer, Atim apprend de Nassara, l’assassin de son père, à perpétuer la vie en tant que boulanger. Son père étant mort avant sa naissance, il constate que la femme de Nassara est enceinte, et vit avec eux la perte de l’enfant.
La violence reste pourtant présente, mais dans une logique voulue par la mise en scène : hors champ. A la scène initiale d’émeute dont on ne perçoit que les résultats (une grande place jonchée de sandales) répondent en écho le rapport sur l’agression du concurrent boulanger ou les coups portés à l’épouse. Atim lui-même est hors champ : avec son flingue, devant le miroir ou à travers une cloison, il tremble de ne pas pouvoir faire surgir la violence dans le cadre.
[Spoilers]
Taiseux, laborieux, les deux individus apprennent à se connaitre autour du travail de la confection du pain. Belles scènes lentes et contemplatives, où la méfiance s’émousse sans que l’ambivalence ne s’efface.
Le film s’alourdit cependant dans sa dernière partie, grossissant le trait d’un bon nombre de ressorts : la perte de l’enfant puis le désir d’adoption de Nassara, la nécessité d’un accord du père d’Atim sont assez superfétatoires.
La scène finale, belle conclusion, rattrape ces petites errances. Le compromis est idéal : Atim rentre dans le cadre devant son grand père aveugle, à qui il fait écouter les coups de feu promis. L’histoire du passé ainsi réécrite, le plan final lui appartient, celui d’un mensonge lumineux et salvateur.
Sergent_Pepper
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le 2 mai 2014

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