« Que sommes-nous d’autre que la somme de nos souvenirs ? »

J’aimerais, autant que faire se peut, rendre hommage à cette incroyable découverte cinématographique en érigeant cette petite critique et réflexion sur les thématiques diverses et variées qu’elle arbore. Je ne suis pas un inconditionnel de la science-fiction en général même si avec le temps il me semble de plus en plus évident que ce style est la porte d’entrée à des thèses qui ont transformé la portée du cinéma et le cinéma tout court en tant que véritable outil de réprobation face à des sujets de société à l’instar de Métropolis qui dès 1927 portait un jugement acerbe et très affuté sur une société future qui asservi les pauvres travailleurs pour le plus grand confort des puissants. Même si dans ce cas précis l’œuvre est plutôt optimiste car elle prétend que l’existence d’un médiateur entre les deux peuples est une nécessité. Ici, Dark City, contrairement à ses prédécesseurs tels que Brazil de Terry Gilliam ou encore Invasion Los Angeles de John Carpenter qui dressent des portraits dystopiques de sociétés totalitaires, ausculte des thèmes comme la complexité de l’âme humaine, la perception de la réalité et l’influence de nos souvenirs sur nos actes.



La vieille armoire en chêne se souvient-elle du temps où elle avait des feuilles ? Paul Valéry.



Le point commun entre Dark City et certaines grandes œuvres de dark SF reste l’univers dans lequel évolue l’individu au centre de l’intrigue, totalement dépourvu des libertés qui nous sont chères, avec comme élément déclencheur de l’intrigue, la perte d’identité. Dès le début du film la messe est dite, les décors sont sombres, il fait tout le temps nuit, on y découvre John Murdoch dans une baignoire d’une salle d’eau sale et lugubre. Cet homme-là ne se souvient de rien et pour couronner le tout il découvre une femme morte dans l’appartement où il s’est réveillé. Il ne se souvient même pas de sa jeune épouse, interprétée par la belle Jennifer Connelly, pourtant éperdument amoureux d’elle. En à peine cinq minutes on a conscience que le point d’orgue du dénouement scénaristique proviendra de la découverte de la véritable identité du personnage principal. S’en suit alors une course poursuite mortelle entre l’inspecteur Franck Bumstead, John Murdoch et des mystérieux inconnus qui en veulent à ce dernier. Le rythme est donc le premier point fort du long-métrage d’Alex Proyas, qui ne connait aucun temps mort jusqu’à son terme.


L’ostracisme à l’égard de John Murdoch est le moteur de l’aventure et cette sensation de pression qui pèse sur le héros et sur le spectateur est décuplée par le fantastique qui règne autour des personnages qui rôdent autour de J. Murdoch. Ces créatures extraterrestres mi-homme mi-vampire à la peau blanchâtre et sans états d’âme qui suppriment le moindre individu en quête d’une vérité nouvelle. Au fur et à mesure que l’on avance on y découvre une conspiration qui manipule l’ensemble des citadins, une espèce de complot destiné à étudier le comportement humain dans des situations sensorielles différentes de jour en jour. Ces expériences scientifiques, à l’image d’une souris dans un labyrinthe, sont opérées par le Docteur Schreber, lui-même humain. Ce dernier est le personnage clé qui permet au spectateur de désépaissir le mystère pour résoudre l’énigme finale.


On apprend grâce à lui que l’âme humaine est quelque chose d’unique aux yeux de ces extraterrestres pour qui la survie dépend de l’étude et l’appropriation de ces âmes. En effet, au contraire de la pensée libre et individuelle, ces individus possèdent une seule et unique pensée collective. La ville n’est alors qu’un large vaisseau spatial qui vogue au centre de l’univers. Symboliquement, le labyrinthe aperçu plus tôt dans le film n’était en fait que la maquette miniature de Dark City.


Ce qui pêche malgré le florilège de propos philosophiques reste la forme douteuse de la fin. Une conclusion aux effets spéciaux poussifs gâche ce qui aurait pu être un film parfait. A noter : la musique oppressante parfaitement en accord avec son thème signée Trevor Jones connu pour le Dernier des Mohicans.


Mais la déception de la fin est atténuée par la scène finale où symboliquement la lumière rejaillit sur la ville et où l’eau forme un océan, deux éléments relatifs à l’incarnation de la vie. Dans l’ensemble, Dark City est une œuvre intense, rythmée et riche de ses idéologies sur les souvenirs. Alex Proyas, à plusieurs reprises, tente de nous montrer comment en l’absence de ces souvenirs nous deviendrions de simples machines malléables et obéissantes. La seule chose qui sépare l’homme de la machine reste l’âme. La dernière intervention de John Murdoch à l’intérieur des murs de Dark City laisse de marbre et conclue parfaitement lorsqu’il rétorque à son homologue extraterrestre qu’il n’avait pas cherché au bon endroit en pointant du doigt sa tête. En effet, l’âme est quelque chose d’indéfectible qui regroupe plusieurs facultés sensiblement plus proches du cœur que de la tête, comme la faculté sensitive. En cela, Dark City empreinte la thèse d’Aristote. C’est-à-dire que la perception du plaisir, de la douleur ou du désir, l’imagination et le bon sens sont des facultés sensitives nécessitant la combinaison du cœur et de l’esprit. A la question « Que sommes-nous d’autre que la somme de nos souvenirs ? », Proyas semble nous prouver que sans nos souvenirs nous ne sommes pas grand-chose si ce n’est un corps qui est ce qu’on lui dit d’être et fait ce qu’on lui dicte. Cependant l’accumulation de nos souvenirs peut nous faire devenir des êtres sensibles à ce qu’ils représentent, d’où l’impact intransigeant du passé sur le présent et l’avenir

baptistevanbalbergh
9

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le 6 mars 2017

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