Qu'est-ce qui fait de nous des êtres humains ?

Il est de ces films de science-fiction tellement cultes qu’ils ont nourri beaucoup d’attentes personnelles et qui se sont avéré décevants dans la mesure de ce que leur réputation a pu me promettre. Et puis il y a ces films de science-fiction qui ont leur succès d’estime, une certaine popularité mais dont je n’entends pas autant de promesses avant de les voir et c’est ainsi que je rejoins après les avoir vus les rangs de ceux et de celles qui le défendent. Dark City fait partie de la deuxième catégorie et me voici donc en expliquer les raisons.


D’abord, l’ambiance de cette ville bien sombre est superbement travaillée comme on peut le voir très rapidement avec cette obscurité qui offre une utilisation recherchée des lumières essentiellement naturelles, des jeux d’ombres mouvantes assez stylisées, ces petites fumées s’échappant ici et là, ces décors assez uniques avec lesquels la mise en scène est composée, ces plans très contemplatifs en accord avec ce style, que l’on retrouve également dans les costumes, à la fois sombres et anxiogènes mais aussi élégants et distingués...


Le film est vraiment d’une grande beauté par rapport à cela et l’excellente position qu’il tient dans les films de dark SF sur SC face à des mastodontes comme Blade Runner ou Alien est parfaitement méritée en ce qui me concerne. C’était une ambition affichée par le réalisateur qui y met tellement l’accent qu’il considère que c’est ce qui donne toute sa spécificité et son intérêt au cinéma de manière générale, ce qui l’a passionné dans ses films préférés et l’a donné envie de faire carrière dans la réalisation :



Je ne voulais pas faire de théâtre filmé, je ne voulais pas raconter de petites histoires sans intérêt visuel, je voulais faire des films qui reposaient avant tout sur les images. L’éclairage, les décors, les effets visuels… constituent un tout visant à créer une ambiance et une émotion pour le public.



Pour renforcer cette ambiance déjà impressionnante de par son visuel, les musiques sont très souvent absentes ou en retrait pour consolider l’aspect anxiogène de beaucoup de scènes et appuyer la fraîcheur d’autres. C’est notamment le cas avec l’interprétation chantée de Jennifer Connelly qui a su me charmer par-delà ce que peuvent exprimer les mots et c’est d’autant plus appréciable quand le reste se veut être plus étouffant. C’est encore une fois à ça, à cette qualité et à cette pertinence du registre de la dark fantasy, que je trouve ce film incontournable dans sa catégorie, mais pas seulement.


Si un bon film dystopique doit nécessairement aborder une thématique forte avec justesse pour soulever des questions d’importance en trouvant le juste équilibre en apportant des pistes de réflexion sans trop de réponses toutes faites, ni trop laisser place à l’interprétation en réalité synonyme de paresse des scénaristes, Dark City est pour moi un cas d’école en la matière. Qu'est-ce qui fait de nous des êtres humains ? C’est tout de même une sacrée question et si le film n’apporte pas la réponse, il sait apporter les éléments permettant de se forger notre réponse tout en prenant a minima un parti.


Et il peut faire cela en parlant aussi d’éléments beaucoup plus proches de préoccupations universelles et au plus près du quotidien des personnes, comme le sentiment de vivre une routine à laquelle on ne peut échapper, avant que cela ne rejoigne une thématique de plus grande ampleur. Le film étend également le propos de l’identité à son rapport avec la société avec cette question de comment nous sommes différents de ce que nous sommes profondément en réponse à ce que la société attend de nous, la métaphore globale du film ne pourrait mieux illustrer ce propos.


Cette métaphore peut aussi avoir une interprétation comme étant une métaphore du cinéma lui-même si on pousse l’interprétation de ce côté-là, les éléments qui la constituent permettent à tous ces questionnements de survenir et d’être développés. Ces éléments scénaristiques peuvent aussi bien se retrouver dans le script littéral que dans le symbolisme avec par exemple la spirale omniprésente dans le film qui peut appuyer la dimension cyclique du récit, lui conférant une narration des plus subtiles et efficaces.


Pour mener à bien sa réflexion, le film se déroule un peu à la manière d’un thriller avec un amnésique soupçonné de meurtres en série, un inspecteur à ses talons... et l’intrigue en est très bien rythmée, succédant interrogations, jolis plans, éléments de réponse et ainsi de suite avec de nouvelles interrogations de sorte que le film se regarde très facilement et même à plusieurs reprises. En effet, on retrouve beaucoup de scènes et de répliques en apparence anodine qui prennent sens plus tard, même au 3ème visionnage je continuai de remarquer pour la première fois des petits détails m’éclairant un peu plus sur le scénario.


En plus, le film incite à porter un regard attentif avec l’enquêteur caractérisant une relation maritale à partir d’une observation succincte sur le port de l’alliance par le personnage, démontrant toute l’importance accordée au détail. C’est vraiment une volonté du réalisateur et co-scénariste Alex Proyas qui n’hésitera pas dans les commentaires audios à livrer deux interprétations possibles d’une même scène, des larmes après usage d’un objet que l’on découvrira plus tard lié à un événement tragique, en précisant sa préférée, pas celle qui est vraie mais celle qu’il préfère, montrant bien cette volonté double : dissimiler des indices subtils et laisser une part à l’interprétation.


Alex Proyas en était à son 3ème long métrage, soutenu par un casting assez méconnu à son époque dans l’ensemble, même si Jennifer Connelly ou Kiefer Sutherland gagneront en popularité par la suite mais leur CV n’était pas phénoménal avant ce film, son budget atteignant presque les 30 millions, confortable mais pas non plus extravagant... le film ne sort pas totalement de nul part sans aucune base prometteuse mais il a tout de même acquis une notoriété que je trouve assez remarquable pour ses moyens et ce qu’ils laissaient espérer.


Pour en revenir au casting par ailleurs, il faut aussi saluer la complexité de leur jeu de par les révélations scénaristiques du film :


Les acteurs jouent en fait des personnages conditionnés pour interagir et réagir de façon programmés, selon les souvenirs que l’on importe en eux, alors qu’ils peuvent parfois être contraints à sortir des rails, notamment en entrant en interaction avec Mordoch qui échappe à cette règle, et à donc sortir d’un comportement caricatural et générique pour un comportement presque improvisé et naturel, ce qui n’est vraiment pas évident. Pourtant les acteurs principaux s’en sortent vraiment bien et tous les registres émotionnels abordés le sont de façon très convaincante et impliquée.


Et sinon pour la révélation en elle-même, je trouve que dans le fond c’est une magnifique métaphore du fait que nos vies réelles sont comme contrôlées, au moins impactées, par des forces qui nous dépassent et dont on a pas nécessairement conscience ou qu’on feint d’ignorer, parfaite conclusion de tout ce à quoi l’intrigue menait jusque-là. Dans la forme, ça nous arrive à l’écran avec force et surprise grâce au montage effréné, au jeu d’acteur paniqué… C’est un twist qui peut s’inscrire sans problème parmi les grands twists de l’histoire du cinéma à mon sens.


Une ambiance qui sait se faire oppressante comme enchanteresse selon l'occasion, un scénario bien élaboré et bien rythmé pour tenir en haleine, un esthétisme aussi unique que soigné, des acteurs convaincants et peu connus... ce film serait donc parfait à mes yeux ? Pas tout à fait, il y a une scène que je trouve ratée, c’est la scène d’action vers la fin du film qui fait un peu nanard tout en post-production là où le scénario se conclue et c’est dommage qu’une scène aussi hors-sujet et pas terrible vienne entacher le tableau de la sorte, mais c’est bien le seul défaut du film pour moi.


Je ne voudrais pas lui attribuer un statut plein de promesses qui augmenteraient les chances d’être déçu par lui comme je le précisais en introduction pour d’autres films mais Dark City fait partie de mes films préférés car parmi ceux que j’ai trouvé les plus intelligents et profonds, utilisant le plus habilement les codes du cinéma s’imbriquant très bien les uns avec les autres... Quel dommage que le réalisateur ne soit jamais parvenu à renouer avec cette qualité même quand il s’attaquait à des registres pas si éloignés comme I Robot, que j’apprécie mais tellement moins que ce Dark City.

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le 1 sept. 2017

Critique lue 502 fois

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damon8671

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