Critique : Dark Shadows (par Cineshow)

Après un Alice au pays merveilles qui avant laissé les spectateurs dubitatifs malgré le succès populaire indéniable, après un Sweeney Todd qui n'avait pas été du goût de tous, bref, après bon nombre de ses dernières réalisations, Tim Burton était attendu très franchement au tournant avec ce projet fou, Dark Shadows, l'ultime espoir pour les fans de la première heure de retrouver l'univers et le talent des premières heures. Pour information en préambule, l'avant-première française aura lieu ce soir au Grand Rex et il est préférable de venir costumé pour profiter pleinement de la fête.

Et il ne fallait pas moins que l'enjeu de transposer la série culte des années 60, totalement inclassable, au cinéma pour permettre au maître du gothique de revenir à ses meilleurs aspirations. Réputé comme invendable en raison de son caractère totalement méta, Dark Shadows est une œuvre à part dans la filmographique de Burton, semblant synthétiser à elle seule tous les inspirations de son univers et de son cinéma, les marginaux, les monstres, le cheap d'autant, l'humour décalé, le tout dans une enveloppe gothique particulièrement savoureuse. Par conséquent, apposer un registre au film sera souvent complexe puisque de nombreux styles s'enchevêtre, se confondent, fusionnent pour au final aboutir à un résultat totalement hybride, passant de la comédie à l'horreur en un clin d'œil.

Ce qui marque dès les premières minutes du long-métrage, c'est un retour à une photographique sombre et soignée qui permet d'ouvrir Dark Shadows d'une manière relativement similaire à Sleepy Hollow ou Sweeney Todd, les chansons en moins. Aidé de la voix-off de Barnabas Collins contant sa jeunesse, nous entrons progressivement dans cette histoire de grand homme devenu vampire contre son gré pour avoir refusé d'être amant avec sa servante, en réalité une sorcière. Les bases sont posées, le registre graphique également ce qui permettra de jouer d'autant plus le gap entre l'ancienne époque et 1972, année durant laquelle Dark Shadows se déroule. Car au-delà de l'histoire, le nouveau film de Tim Burton est surtout prétexte à mettre en scène Johnny Depp dans un rôle qu'il affectionne, celui d'un freak décalé au sein d'une époque qui lui est totalement inconnue.

L'anachronisme du personnage se révèle être la pierre angulaire du film et le leitmotiv par lequel la majorité de l'humour naitra, que ce soit via le comique de situation ou via les dialogues, particulièrement travaillés et savoureux. Et le fait est que Burton excelle dans l'exercice tant sa capacité à peindre des personnages marginaux dans un monde qui ne les comprend pas ou les refuse est impressionnante. En ce sens, Dark Shadows renoue avec ses grandes œuvres de la période 85-95, son âge d'or, tel Batman ou Edward aux mains d'argent. Mais contrairement aux films pré-cités, sa dernière œuvre se démarque par la galerie de freaks exubérants et jubilatoires qu'elle met à disposition et qui se révèlent pour la plupart totalement jubilatoires même si leur présence à l'écran n'est pas représentative du potentiel narratif qu'ils représentent. La famille Collins de 1972, névrosée, descendante directe de Barnabas se révèle bien vite un concentré de personnages dinguos avec pour chacun leur propre histoire et leur propre développement au sein de l'intrigue principale.

Si le casting rend hommage à la qualité de ces personnages (Michelle Pfeiffer, Chloé Grace Moretz, Helena Bonham Carter ...), on devra pour la plupart se contenter de seulement quelques scènes pour apprécier toute leur folie, ces derniers étant pour la plupart des faire-valoir à Barnabas Collins. C'est notamment le cas lors d'une séquence de repas improbable où Chloé Grace Moretz du haut de ses 15 ans nous offre une danse lascive sous les yeux ronds de sa famille. L'ambiguïté de la scène qui en faisait tout son intérêt sera malheureusement rapidement interrompue par une petite blague décalée de Barnabas. Et c'est probablement l'un des choix les plus frustrants de ce Dark Shadows, celui d'avoir tout misé, tout orienté autour de l'anachronisme du vampire dans une société plus récente qu'il ne comprend guère, quitte à user voire abuser d'un humour qui par moment pourra être la raison d'un ventre mou par cette sensation de légère redite. Victoria Winters (Bella Heathcote) est probablement le personnage qui sera le plus affecté par ces raccourcissements narratifs et sa faible présence à l'écran. Personnage clef, à l'origine de nombreux choix de l'histoire, on ne sait finalement que peu de chose d'elle ce qui limite l'empathie et surtout, annihile toute l'émotion et la poésie qui aura dû naitre de la séquence finale du film. Ce grand moment romantique baroque rate sa cible par ce manque d'affection vis-à-vis du personnage, point effectivement dommageable au regard de la qualité générale élevée.

Malgré tout, Dark Shadows dispose de suffisamment d'arguments pour combler les plus sceptiques notamment grâce un des personnages féminins les plus incroyables de l'univers de Burton, celui d'Angélique Bouchard interprété par Eva Green. Magnétique, destructrice, toxique, elle demeure une « méchante » improbable dont la perversité n'a d'égale que la détresse qu'elle appelle, le personnage étant consumée littéralement de l'intérieur par un amour impossible. Chacune de ses apparitions crève l'écran et plus particulièrement dans la dernière partie du film où toutes les excentricités sont permises. Une dernière partie en guise de finish granguignolesque, horrifique, utilisant tous les symboles de son univers gothique et concluant un film totalement débridé et libre créativement.

Exercice d'équilibriste savoureux, Dark Shadows de Tim Burton sonne comme le retour d'un grand cinéaste que beaucoup croyait perdu artistiquement. D'un certains point de vue, il peut être considéré comme une synthèse des thématiques chères à son œuvre même si dans l'absolu, il ne demeure pas l'un de ses films majeurs. Les quelques soucis de scénario (parfois trop long, quelques ellipses malvenues, des choses non expliquées) n'entache en rien la qualité générale du film et le plaisir que l'on prend devant. Comptant quelques caméos sympathiques, le nouveau Tim Burton fonctionne aussi voire surtout grâce sa distribution de rêve dirigée avec talent. On aurait bien tort de s'en priver. Tim Burton n'est pas mort et Dark Shadows est le meilleur pied de nez qu'il pouvait faire à ses détracteurs !
mcrucq
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le 8 mai 2012

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Mathieu  CRUCQ

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