Après son Alice au Pays des Merveilles qui a suscité autant d'impatience que de déception, Tim Burton se lance dans l'adaptation sur grand écran de la série télévisée Dark Shadows de Dan Curtis, diffusée en pleine journée entre 1966 et 1971. Un projet tout indiqué pour le cinéaste à l'univers sombre et onirique lui-même fan de la série TV, tout comme son acolyte de longue date Johnny Depp, qui lui avait jadis confié rêver d'interpréter le personnage de Barnabas Collins. Vœu émis, vœu accomplis ! Les deux hommes rempilent ainsi pour leur huitième collaboration, dans une aventure gothico-fantastique qui se présente comme un condensé du cinéma Burtonien. Il y a d'abord ce prologue, esthétique, macabre et envoûtant, où s'échappe de la brume du cap des veuves une atmosphère à la Sleepy Hollow ou Sweeny Todd. Bercées par la BO d'un Danny Elfman visiblement en forme, ces premières minutes galvanisent chez le spectateur l'espoir de retrouver en Burton ce conteur d'exception qui depuis quelque temps, semble avoir perdu un peu de son doigté.
Une fois le décor planté au 18ième siècle, le long-métrage fait un bon avant de 200 ans, projetant Barnabas Collins, désormais vampire, en plein dans les seventies. L'humour anachronique pointe alors vite le bout de son nez, tant par les dialogues que par des comiques de situations assez juteux bien qu'attendus, malgré la comparaison gênante mais très tentante avec Les Visiteurs. Bien heureusement, le cinéaste ne s'en arrête pas là, mettant à profit les spécialités qu'on lui connaît, son long-métrage fourmillant ainsi d'humour noir mordant, tout en jonglant entre hommage et parodie affectueuse aux films du genre. Ainsi, grâce à son second degré, Dark Shadows devrait même satisfaire certains réfractaires à la mode vampirique persistante de ces dernières années.
Mais bien que dynamisé par son humour et son ton décalé, le scénario souffre de l'absence d'enjeux forts, de zones creuses, et de la multiplication de sous-intrigues qui se retrouvent finalement éclipsées, à force de vouloir en faire et en montrer trop. Ainsi, certains éléments et personnages finissent par passer un peu à la trappe, comme l'histoire mystérieuse de Victoria Winters, ou encore son lien amoureux avec Barnabas, pourtant élément clé du récit. Un manque d'approfondissement qui entache ainsi cette famille Collins, qui échoue là où La famille Adams avait autrefois réussi. Le potentiel était pourtant là, de la matriarche dépassée mais volontaire, en passant par le docteur aux intentions insoupçonnées, le jeune David perturbé, les domestiques atypiques, jusqu'à la jeune adolescente un peu déconnectée qui brille le temps d'une danse improvisée à l'heure du dîner. Une bande de freaks, de marginaux largués par une société gangrenée par l'appât du gain, comme Burton les affectionne tant. Pour l'occasion le cinéaste s'est entouré d'une jolie troupe d'acteurs, des habitués comme Johnny Depp, impeccable bien qu'un tantinet répétitif dans son jeu, Helena Bonham Carter, fidèle à elle-même, Christopher Lee ou encore Michelle Pfeiffer, qui retrouve Burton plus de vingt ans après Batman, le défi. Du côté des nouveaux on citera la jeune actrice Chloë Grace Moretz, charmante malgré un jeu un peu too much, la douce Bella Heathcote, mais surtout notre Eva Green nationale, sulfureuse et diabolique en sorcière blonde, piquant haut la main la vedette à Johnny Depp. Elle fait une Angelique Bouchard perfide et cruelle, mais pour qui on serait tenté d'éprouver un soupçon de compassion, tant elle est déchirée par sa passion pour Barnabas. Ce dernier, véritable personnage tragique et romantique, n'aura de cesse de chercher à conjurer le sort dont il est victime, tout en redoublant d'effort pour sauver l'honneur et le statut familial. Sa relation avec Angélique, animée aussi bien par l'amour, la haine, ou l'attirance physique, offre quelques scènes savoureuses dont une assez mouvementée, aussi érotique que brutale, sous des airs de Barry White. La réalisation réserve ainsi quelques idées réjouissantes, bien qu'un peu mollassonne.
On retiendra aussi la photographie grisâtre teintée de couleurs vintages, des effets spéciaux surprenants, sans oublier les somptueux décors gothiques du manoir, hautement plus appréciable après l'avalanche de fonds vert qu'était Alice. En conclusion, bien qu'il ne soit pas exempt de tout défauts (le petit twist final tombe comme un cheveu sur la soupe), Dark Shadows est suffisamment divertissant, réjouissant visuellement et Burtonien jusqu'au bout des ongles pour réconcilier le père d'Edward aux Mains d'Argents avec ses admirateurs qui l'avaient autrefois tant applaudi. Pas un grand Burton donc, mais tout de même un bon Burton, et c'est déjà bien.
JulieTournier
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le 9 avr. 2013

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Julie Splack

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